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Rousseau, il résumait en quelques traits mâles et rapides toute l’histoire de la prose française.

Les deux points de vue précédens, quelque intéressans qu’ils puissent paraître, ne sont pas ce qu’il y a de plus important dans l’œuvre littéraire de Victor Cousin. Ce qui est bien plus considérable, c’est le point de vue tout à fait nouveau qu’il a introduit dans l’étude et dans la critique des textes classiques. Là, il a fait, on peut le dire, une véritable révolution. Le point de départ de cette révolution a été son travail sur Pascal. Le premier (et cela était bien surprenant après tant d’éditeurs de Pascal depuis près de deux siècles), le premier, dis-je, il a eu l’idée d’aller confronter le texte des éditions consacrées avec le texte original et authentique conservé à la Bibliothèque nationale. Dire qu’il a déchiffré ce texte, ce serait probablement trop dire ; il y avait heureusement deux copies, dont l’une absolument contemporaine et faite sous les yeux de la famille, et l’autre assez peu postérieure. C’est à l’aide de ces deux copies que l’on a pu lire le manuscrit original, écrit, comme on sait, d’une manière tout hiéroglyphique. En se servant de ces documens et en les comparant au texte imprimé, Cousin reconnut bien vite un bon nombre d’altérations dont on peut voir le détail dans son ouvrage ; et, comme son esprit était toujours porté à la généralisation, il indiqua tout d’abord la conséquence générale de ce fait, à savoir la refonte de tous nos textes classiques, qui tous avaient plus ou moins subi des modifications de ce genre, par exemple les Sermons de Bossuet, les Lettres de Mme de Sévigné, les Mémoires de Saint-Simon. Il mit en relief cette idée, à laquelle on ne s’était pas encore habitué, c’est que les classiques sont devenus pour nous des anciens et que le XVIIe siècle est une troisième antiquité qu’il faut traiter avec le même soin religieux que les deux autres. Sainte-Beuve, dans un article de la Revue[1] sur l’édition des Pensées par M. Faugère, remarquait avec pénétration la nouveauté du point de vue que cette manière d’entendre la critique introduisait dans la littérature française. Après la période classique, après la période romantique, il en signalait une troisième : la période philologique que M. Cousin inaugurait ; et, en effet, cette prévision s’est réalisée, et c’est évidemment à cette vive prédication en faveur de la révision de nos textes classiques qu’est due la grande entreprise de M. Ad. Régnier, dans laquelle précisément nous trouvons réalisée l’œuvre réclamée par Victor Cousin.

Dans le même article que nous venons de citer, Sainte-Beuve

  1. 1er juillet 1844.