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— Oui, repris-je, s’ils étaient tous aussi puissans que Votre Majesté. » Et l’entretien finit là-dessus d’assez bonne humeur[1]. »

Mais Hyndford n’était pas homme à s’en tenir là, et, quoique peu effrayé des menaces au fond desquelles il voyait clair, il tint pourtant à en avoir le cœur net : « Aussi, continue-t-il, le soir, au lever de la reine mère, je pris à part le comte Podewils, et, feignant d’être bien en colère pour tirer de lui tout ce que je pourrais, je me plaignis du tour inattendu que le roi avait donné à sa conversation… et des expressions inconvenantes dont il s’était servi, et j’ajoutai : « Sa Majesté prussienne s’y prend de bonne heure pour donner des lois à l’empire, mais la nation britannique n’est pas d’humeur à se laisser dicter par d’autres ce qu’elle a à faire. » Ce ministre a paru très troublé, m’a dit qu’il verrait le roi ce matin, et qu’ensuite il serait mieux en mesure de m’entretenir. — Et le lendemain, reprend Hyndford, je ne manquai pas de me placer le matin sur le passage de Podewils, comme il sortait du cabinet du roi. Il me dit que la première chose que le roi lui avait demandée, c’était s’il m’avait vu depuis ma dernière audience. Le comte lui répondit affirmativement et ajouta que je lui avais paru très surpris de la conversation de Sa Majesté et que je le lui avais dit. Le comte lui a répété quelques-unes des expressions que je lui avais rapportées, entre autres celle-ci : « Mieux vaut dégainer aujourd’hui que demain. » Le roi a essayé de nier ce propos et d’autres encore. « Il est bien vrai, a-t-il dit, que nous étions un peu échauffés l’un et l’autre, mais enfin nous avons fini par rire de bon cœur, et nous nous sommes séparés bons amis. »

Puis, baissant la voix, Podewils pria en grâce Hyndford de se tenir l’esprit en repos, l’assurant que le roi, d’après ses conseils, travaillait déjà à un plan de pacification qui pourrait satisfaire l’empereur sans rien coûter à la reine de Hongrie. « Mais surtout, ajouta-t-il, ne parlez de rien ni au comte Richecourt (l’envoyé de Marie-Thérèse) ni encore moins au marquis de Valori… » Hyndford se croyait donc en droit de conclure sa dépêche par ces mots :

  1. Hyndford à Carteret, 17 décembre 1742. (Record Office.) — Cette conversation et celles qui vont suivre sont antérieures, je dois en convenir, à plusieurs faits que je viens de relater : l’entrée du maréchal de Noailles au conseil, le couronnement de Marie-Thérèse à Prague, etc. Mon excuse pour ce déplacement est que, dans les situations qui se prolongent sans changement et où les questions renaissent à plusieurs reprises sans recevoir de solution immédiate, il serait impossible, sans tomber dans la confusion et sans revenir à tout instant sur ses pas, de suivre l’ordre chronologique tout à fait rigoureux. La résolution du roi d’Angleterre de diriger ses troupes sur l’Allemagne fut annoncée bruyamment dès la fin de l’année 1742, puis. suspendue par divers motifs, enfin exécutée au printemps de 1743. A chaque fois, elle excita chez Frédéric la même irritation. C’est au moment de la première menace que se rapportent ces entretiens caractéristiques qui révèlent si bien le fond du cœur du souverain prussien.