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du roi votre maître. Nombre de princes et d’états de l’empire sollicitent ma protection et me demandent d’arrêter cette invasion armée qui amènerait chez eux les malheurs de la guerre et ne peut manquer de causer leur ruine. Je ne puis supporter que le chef de l’empire, que j’ai contribué plus que personne à faire élire, soit chassé de ses domaines héréditaires et peut-être contraint à déposer la couronne impériale ou à consentir à l’élection d’un roi des Romains… Que veut donc le roi votre maître ? S’il ne veut qu’attaquer la France, en Flandre, en Lorraine ou sur tout autre point du territoire français, je n’ai rien à y voir ; mais c’est mon devoir, étant le prince le plus considérable de l’empire, d’empêcher tout nouveau désordre en Allemagne. Ne vaudrait-il pas mieux pour le roi d’Angleterre, qui, comme électeur de Hanovre, a pris part au choix de l’empereur, d’essayer de détacher ce prince de la France que de le forcer de recourir à l’appui de l’étranger ? Et, après tout, ajouta-t-il, s’il faut dégainer, il vaut mieux aujourd’hui que demain. » Puis il s’arrêta en regardant Hyndford en face pour juger de l’effet de sa menace.

Par malheur, il avait affaire à un homme qui le connaissait bien, l’avait vu à l’œuvre et lisait dans ses regards le calcul qui se cachait sous cette feinte colère. Hyndford reçut sans en être étourdi ce déluge de paroles. « Je pris la liberté de lui répondre, écrit ce ministre à Carteret, que, quoique je ne fusse pas suffisamment informé de la destination de nos troupes, Sa Majesté ne pouvait être ni surprise ni offensée que des auxiliaires de la reine de Hongrie prissent le parti le plus utile au service de leur alliée ; que les alliés de la reine étaient bien forcés d’aller chercher ses ennemis là où ils se trouvaient ; que c’étaient les Français qui avaient donné le premier exemple d’entrer dans l’empire, où ils sont encore à l’heure qu’il est en grand nombre et commettent les plus grands excès ; s’ils n’y étaient pas, on ne serait pas obligé de les y venir trouver, et les auxiliaires de la reine ont bien autant de droits d’entrer dans l’empire que les auxiliaires de l’empereur. Et qui donc, lui ai-je demandé, a appelé les Français dans l’empire ? — C’est moi, dit le roi, mais je ne l’ai fait qu’avec l’assentiment et sur la demande de la plus grande partie de l’empire. » Puis il reprit encore : « Écoutez, mylord, je ne me soucie pas de ce qui arrive aux Français, mais je ne puis souffrir que l’empereur soit ruiné ou détrône. Je me charge de faire faire la paix à l’empereur, et ensuite les Français s’en iront comme ils pourront. Mais l’empereur n’a plus de quoi vivre, et c’est ce que je ne puis tolérer. — Je reconnais, lui dis-je, que Votre Majesté a choisi un empereur qui lui est commode et ne lui causera jamais de désagrément. » Ceci le fit rire. « C’est un choix aussi convenable, dit-il, aux princes d’Allemagne qu’à moi-même.