Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/139

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

restera jusqu’au bout l’unité de la vie philosophique de Victor Cousin. Cet idéalisme domine aussi bien dans les derniers livres que dans les premiers ; dans toutes ses œuvres philosophiques, c’est bien la notion de l’idéal, du divin, de l’esprit supérieur aux sens, qui est la pensée souveraine. Sur ce point fondamental il n’a pas changé, et il y est resté fidèle depuis le premier jour jusqu’au dernier. Seulement il faut dire que l’idéalisme platonicien est susceptible de prendre deux formes : la forme française et la forme allemande, la forme cartésienne et la forme hégélienne. Sans nous arrêter à fixer avec précision la différence des deux formes, ce qui serait trop long et trop difficile, et nous en référant à ce que chacun sait là-dessus, nous dirons que la transformation de la philosophie de Cousin a consisté surtout dans le passage de la forme hégélienne à la forme cartésienne, c’est-à-dire dans le retour à la forme française et dans l’abandon de la forme allemande de l’idéalisme.

Ce changement en amenait d’autres, ou plutôt il consistait précisément lui-même dans la transformation du panthéisme en théisme et de l’éclectisme en spiritualisme. En effet, si l’on examine de près ce que. Cousin avait appelé jusqu’alors éclectisme, on verra que c’était précisément la prétention d’embrasser et de réconcilier tous les systèmes du passé, comme le faisait Hegel lui-même, dans une conception plus large qui n’était autre que le panthéisme. Le panthéisme, en effet, semble bien, au premier abord, donner raison à toutes les philosophies sans se subordonner à aucune ; c’est la réconciliation du spiritualisme ou du matérialisme dans une synthèse qui les dépasse tous deux. En revenant, au contraire, à la forme cartésienne, entendue d’ailleurs dans un sens de plus en plus timoré et exclusif, il ne pouvait plus être question d’éclectisme ; ou du moins on n’entendait plus par là qu’une philosophie de sens commun, donnant satisfaction non plus à tous les systèmes de philosophie, mais à toutes les opinions généralement répandues parmi les hommes. De là enfin, un dernier caractère de cette forme philosophique nouvelle, à savoir le caractère populaire et plus ou moins littéraire. Dans sa première phase, la philosophie de Victor Cousin, bien loin d’être une philosophie populaire et d’être considérée comme telle, passait au contraire, nous l’avons vu, pour une philosophie abstraite et transcendante, à laquelle on imputait les mêmes mérites et les mêmes défauts qu’à la philosophie allemande : la profondeur et l’obscurité. Au contraire, la dernière philosophie de Victor Cousin, représentée surtout par son ouvrage remanié du Vrai, du Beau et du Bien, ne fut plus que la forme brillante, éloquente, accessible à tous, de ce qui est passé dans la raison commune soit du platonisme, soit du cartésianisme. Enfin, cette philosophie ainsi transformée en spiritualisme théiste populaire n’avait plus