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produit à cette époque une œuvre d’une intelligence aussi profonde et aussi élevée ? N’est-ce pas précisément l’esprit de largeur, d’impartialité, d’optimisme à l’égard du passé développé par Victor Cousin, l’esprit éclectique, en un mot, répandu partout, n’est-ce pas aussi la sagacité du philosophe qui juge le moment venu pour faire sortir le Philosophe de ses cendres, enfin, n’est-ce pas, en général, l’impulsion donnée à l’histoire de la philosophie qui a été l’occasion, ou pour mieux dire la cause déterminante de l’œuvre considérable et hors ligne que nul n’admire plus que nous ? C’est donc encore à l’initiative de Cousin qu’il faut attribuer la résurrection d’Aristote dans la philosophie moderne, du moins en France, Si nous passons maintenant, pour abréger, à la fin et au dernier terme de ces concours dont Cousin a été l’initiateur, nous l’allons voir encore ayant la bonne fortune de susciter, au terme de sa carrière, l’un des plus beaux et des plus brillans talens parmi les nouvelles générations philosophiques, M. Alfred Fouillée. A la vérité, M. Cousin n’a pas assez vécu pour voir les résultats des deux concours sur Socrate et sur Platon ; mais c’était lui qui avait choisi les sujets, c’est lui qui avait construit et rédigé les programmes ; je les vois encore écrits de sa main. Comme il avait commencé, il a fini par Platon ; l’idéalisme platonicien a été le nœud et le centre de toute sa carrière philosophique. Il avait toujours rêvé une grande œuvre d’ensemble dans laquelle il eût rassemblé tout ce qui est épars dans ses Argumens et qui nous eût donné d’une manière complète et liée toute la philosophie platonicienne. Ce qu’il n’avait pas fait, ce qu’il désespérait de pouvoir faire, il voulut susciter un jeune talent pour l’entreprendre ? il sut en quelque sorte l’évoquer, le deviner, et par cela même il a encore sa part dans le beau travail de M. Alfred Fouillée.

N’oublions pas enfin que, dans le dernier concours institué par lui sur Socrate métaphysicien, Victor Cousin eut une part d’honneur plus grande encore et plus personnelle que celle qui lui revient déjà pour le choix du sujet et la rédaction du programme : c’est la création même du prix décerné. En effet, en 1867, l’année même qui précéda sa mort, Cousin avait offert à l’Académie, qui l’accepta, le don d’un prix triennal de 3,000 francs qui devait porter son nom et qui devait être consacré à un travail de philosophie ancienne, en souvenir sans doute de tout ce qu’il avait fait pour elle. Ce prix, qui servira à sauver parmi nous l’histoire de la philosophie grecque, a déjà suscité de savans et profonds travaux ; et ainsi, même après sa mort, Cousin aura contribué à stimuler. l’activité philosophique. On doit, je crois, compter encore parmi les services pratiques rendus à la science la création et le don à l’état de l’admirable bibliothèque philosophique qu’il a passé sa