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qui l’intéressait lui-même ; il a toujours mis le feu aux poudres. C’est ainsi que Cousin, par cela seul qu’il fut chargé d’un tel enseignement, y mit sa passion, son esprit d’initiative ; il fallut que l’histoire de la philosophie devînt la philosophie elle-même ; et, soit par ses propres travaux, soit par ceux de ses élèves, il en fit une science nouvelle et indépendante.

Considérons d’abord la part qui lui est personnelle. Dans ses cours, il fut contraint par le titre même de sa chaire à s’occuper de philosophie moderne, et il fut amené, en outre, par l’intérêt des problèmes philosophiques qui le préoccupaient alors plus que l’histoire elle-même, à se concentrer dans l’histoire presque contemporaine : car parler à cette époque à la Sorbonne de Saint-Lambert, de Volney, de Kant, c’était à peu près comme lorsque aujourd’hui nous parlons d’Auguste Comte et de Stuart Mill. Il dut donc étudier les écoles les plus récentes dont il essayait de concilier les résultats dans sa philosophie personnelle. Ce fut d’abord la philosophie du XVIIIe siècle, puis la philosophie écossaise, puis la philosophie de Kant, qui furent, en 1819 et 1820, l’objet de ses études. Sans doute on a depuis étudié Kant d’une manière plus profonde ; mais nous sommes en 1820, ou même en 1817. Kant n’est pas encore traduit ; on ne peut le lire que dans le texte ou dans l’affreuse traduction latine.de Born ; on n’était alors préparé à le comprendre par aucune étude antérieure. Leibniz était presque ignoré. Des abrégés comme celui de Kinker, ou de vagues expositions comme celle de Villers étaient les seules ressources qu’on eût à sa disposition. Dans ces conditions, le cours sur Kant ne pouvait être que ce qu’il a été, et c’est le vrai commencement de la connaissance et de l’influence de Kant dans notre pays.

Passons d’ailleurs sur cette première période, qui était une période de début. Dans la seconde, à savoir de 1820 à 1828, nous avons déjà signalé les trois grandes entreprises qui ont occupé la retraite de Victor Cousin, à savoir son Descartes, son Platon et son Proclus. On ne saurait placer trop haut de tels services ; et qu’il ait eu ou non, pour de si lourdes tâches, des collaborateurs, il n’en reste pas moins vrai que c’est à lui que revient l’honneur de les avoir entreprises et exécutées. Pensez à la difficulté et à la grandeur de telles entreprises : trouver un éditeur et des acheteurs (l’un ne va pas sans l’autre) pour onze volumes de Descartes, treize volumes de Platon, six volumes de Proclus, en tout, trente volumes. Nous l’avons dit déjà, de telles publications eussent-elles été possibles sans l’élan extraordinaire imprimé par Victor Cousin à l’activité philosophique, sans sa célébrité personnelle, sans la solidarité qu’il avait établie entre la philosophie et l’esprit libéral, de sorte qu’encourager ces entreprises, quelque spéculatives qu’elles fussent, c’était encore