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cécité et de l’oisiveté ? que deviendraient-elles, et comment pourrait-on apaiser les tempêtes de leur imagination ? Le travail les distrait, la règle les discipline, elles ont coutume de faire tous les jours les mêmes choses, aux mêmes heures, leur vie s’écoule dans une régularité qui l’abrège et la rend possible. « Si j’avais encore la folie de croire au bonheur, a dit Chateaubriand, je le chercherais dans l’habitude. » L’uniformité du travail est jusqu’à un certain point un lien de plus entre toutes ces infortunées. Il me semble que l’expérience a éliminé successivement tous les métiers autour desquels on avait tâtonné, et que l’on s’est concentré sur le tricot ; on y excelle et l’on y mérite quelque célébrité. Dans la maison, la musique est enseignée et, je l’ai dit, étudiée avec passion, mais j’y vois plutôt un art d’agrément qu’un gagne-pain. Un homme peut faire sa partie dans un orchestre de bal ou de théâtre, être professeur, organiste, accordeur de pianos ; plus d’un sujet remarquable est sorti de l’Institut des jeunes aveugles ; mais une femme, que peut-elle faire ? Donner des leçons dans le parloir de la communauté ? Oui, certes ; mais qui viendra les lui demander, rue d’Enfer, au-delà de l’Observatoire, à l’une des extrémités de Paris ? Elle n’est pas cloîtrée dans la maison des Sœurs de Saint-Paul, mais encore ne peut-on la lâcher toute seule dans les rues pour courir le cachet, à l’aventure. Si l’on veut la faire accompagner, ce qui ne serait que correct, il faut tout de suite doubler le nombre des sœurs voyantes ou réduire la communauté à n’être gouvernée que par des sœurs aveugles ; c’est impraticable. Faisons de la musique pour satisfaire l’âme et pénétrer dans les clartés de l’harmonie, mais tricotons, mes sœurs ; c’est le plus sûr moyen d’associer vos filles aveugles à votre œuvre de bienfaisance et de compassion.


III. — LES CLASSES ; L’IMPRIMERIE.

En sortant de l’ouvroir, on pénètre dans les classes, qui sont au nombre de trois et portent des noms correspondant à l’âge des enfans ; les moyennes, les petites, les toutes petites. Là aussi, comme dans l’atelier, tout le monde est aveugle, là aussi, entre les leçons et les récréations, on tricote, pour mieux dire, on apprend à tricoter. Je retrouve les méthodes d’enseignement, d’écriture, de lecture que j’ai déjà vues fonctionner à l’Institut des jeunes aveugles et dont j’ai parlé autrefois[1]. Les instrument de précision de l’écriture « nocturne » sont toujours le poinçon, la tablette et la

  1. Voyez, dans la Revue du 15 avril 1873, l’Institution des jeunes aveugles.