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infirmes, et l’hospice des Enfans-Assistés, où les commissaires de police font porter les pauvres petits abandonnés de leur mère que l’on découvre au pied du bénitier des églises et sous les portes cochères ; en face, on aperçoit, au-delà d’un mur, les bâtimens du Bon-Pasteur, où sont recueillies les malheureuses que la foi va enlever sur les lits contagieux de Saint-Lazare et de Lourcine. Dans cet espace restreint on voit d’un coup d’œil les prodiges de la charité et quelles épaves elle recherche : l’enfance délaissée, la perversité contaminée, la vieillesse affaiblie, le mal des ténèbres. Entre deux pavillons de bonne apparence, une avant-cour close entre deux portes de fer, cour étroite, un peu triste, divisée par une barrière en bois plein qui sépare la communauté de l’ouvroir et des classes à gauche ; une maison sans élégance, en plâtre, munie de portes-fenêtres s’appuyant sur un perron de trois marches, est la maison qu’habita Chateaubriand, lorsqu’après la révolution de juillet, fatigué des autres et de lui-même, il se retira dans une retraite, où il espérait éviter la curiosité des hommes et fuir les bruits du monde. Ce n’est pas là qu’il mourut, mais c’est là que, le 20 juin 1832, le gouvernement de Louis-Philippe le fit arrêter. L’avant-corps de la chapelle et la sacristie ont été empruntés au salon et à la bibliothèque de Mme de Chateaubriand, qui s’y plaisait, dans la compagnie de Jako, son perroquet sournois, et de Cocotte, la plus insupportable des perruches. Il est bien que la foi des Sœurs aveugles de Saint-Paul soit à l’œuvre dans la demeure de l’auteur du Génie du christianisme.

Les parloirs des maisons religieuses se ressemblent tous ; qui en a vu un les connaît. C’est luisant et froid ; le parquet est dangereusement ciré ; devant chaque siège, il y a un petit tapis, quelques médiocres estampes de sainteté pendent aux murs dans des cadres noirs ; ça sent la province d’autrefois. La propreté est le seul luxe des pauvres ; on est luxueux chez les Sœurs de Saint-Paul. La communauté se compose aujourd’hui de cinquante-neuf religieuses, dont vingt sont aveugles qui, pour la plupart, ont été élevées dans la maison. Je les ai regardées avec intérêt, dans la robe noire à larges plis, sous la coiffe blanche, avec leur visage impassible, où la cécité semble avoir aboli toute expression ; je les ai vues glisser discrètement dans les couloirs, pousser machinalement la barrière qui ferme l’entrée de tous les escaliers à chaque étage, marcher droit devant elles, tendant le front en avant pour sentir les obstacles à distance, ne quittant point le tricot dont elles agitent rapidement les aiguilles et s’arrêtant avec quelque surprise dès qu’elles entendaient ma voix, qu’elles ne connaissaient pas. La perspicacité de l’ouïe est extraordinaire et leur fournit des indications dont un