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dortoirs, et la communauté se réfugia sous les combles. On établit une infirmerie où purent trouver place soixante-trois soldats blessés que soignaient dix-huit sœurs. Sur le pignon le plus élevé on avait hissé le pavillon blanc à croix rouge, emblème de la convention de Genève, qui impose aux belligérans le respect des hôpitaux et neutralise les ambulances. Hélas ! les obus aussi sont aveugles. Trois projectiles frappèrent la maison doublement sacrée et en effondrèrent le toit, car elle était sur la trajectoire des énormes boulets qui cherchaient le dôme du Panthéon et qui l’atteignirent.

Lorsque, après la capitulation, les portes de Paris eurent été rouvertes, les Sœurs de Saint-Paul, les aveugles, les blessés recueillis dans la maison purent se refaire un peu et substituer un « ordinaire » réconfortant à la nourriture insuffisante et malsaine dont, pendant ces longs mois d’angoisse, on avait réussi à se soutenir. On espérait des jours moins pénibles, mais on avait compté sans la commune, qui s’était préparée pendant le siège, et qui éclata le 18 mars. Les avanies ne furent point épargnées à la maison des aveugles ; on y fit des perquisitions, on y chercha, comme ailleurs, le souterrain, le fameux souterrain que l’on ne découvrit là pas plus qu’au séminaire de Saint-Sulpice, à Saint-Lazare, au ministère de la marine, au palais des Tuileries ou au puits de Grenelle. L’ambulance contenait encore vingt-cinq blessés, qui ne se hâtaient point de sortir, et que les sœurs ne se pressaient pas de renvoyer ; elles voyaient en eux une sorte de sauvegarde qui protégeait l’asile où les petites filles tremblaient de peur. Le 18 mai, la maison fut envahie par une troupe de fédérés : « Allons, les nonnes, il faut déguerpir ! .. » Les pauvres religieuses essayaient d’éluder l’ordre ; les blessés réclamaient, les enfans pleuraient : on les mit à la porte, la crosse du fusil au dos ; les femmes du quartier injuriaient les fédérés en les traitant de « sans cœur, » s’emparèrent des sœurs, les emmenèrent, les cachèrent et en prirent soin. L’abbé Juge fut moins heureux ; c’était « un curé, — bon pour être collé au mur. » Il fut conduit à la Sûreté générale, où Théophile Ferré tenait ses grandes assises, incarcéré au Dépôt, transféré à Mazas, et enfin transporté à la Grande-Roquette. Par bonheur, il fut enfermé dans la troisième section, dont les détenus, encouragés par les surveillans Pinet et Bourguignon, se barricadèrent, résistèrent et furent sauvés, ainsi que je l’ai raconté ici même[1]. Si l’abbé Juge avait été mis en cellule dans la quatrième section, il eût probablement partagé le sort de l’archevêque de Paris, du président Bonjean, de l’abbé Deguerry, des pères Clerc, Allard et Ducoudray.

  1. Voyez la Revue du 1er octobre 1877.