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et les privations semblait avoir bouffie ; ses cheveux blonds disparus sous la coiffe blanche, ses yeux bleus d’expression très douce, la pâleur mate de son visage, indiquaient une faiblesse constitutive contre laquelle la vigueur de l’âme réagissait. Elle aimait son œuvre, elle y croyait et avait marché à travers tant d’obstacles qu’elle ne les comptait plus. Elle ressentait pour ses aveugles une passion qu’elle a communiquée à la communauté ; l’impulsion ne s’est point ralentie ; la parole qu’elle répétait vibre encore : « Mes filles, nous sommes les servantes de la cécité. »

Elle ne devait pas jouir longtemps du fruit de ses efforts. Elle ne s’était point ménagée ; elle n’avait écouté ni les conseils du médecin, ni les avertissemens d’une santé toujours chancelante et qui s’affaiblissait progressivement ; à force de s’être surmenée, elle fut contrainte de s’arrêter ; « la machine » ne fonctionnait plus. Dès le mois de mai 1863, une toux sèche et persistante, des étouffemens fréquens indiquèrent une maladie organique sur la gravité de laquelle il était difficile de se faire illusion. Dans le dessein de rétablir sa santé et même de la recouvrer, la mère Saint-Paul fit deux voyages qui n’eurent pas le résultat qu’elle en avait espéré. Elle comprit que son heure était proche et ne songea plus qu’à pourvoir à la direction disciplinaire de la maison qu’elle allait abandonner pour toujours. Elle désigna elle-même l’assistante, les officières principales et fit élire la supérieure qui devait lui succéder pour conduire le petit troupeau aveugle qu’elle avait guidé avec tant d’amour. Le 9 septembre 1863, assise dans un fauteuil, car son oppression était telle qu’elle ne pouvait rester couchée, elle mourut entourée de sa communauté. Son souvenir est demeuré vivant ; des sœurs non voyantes, qui ont franchi avec elle les étapes de la rue des Postes, de Vaugirard, de Bourg-la-Reine, m’en ont parlé avec l’émotion qu’inspire une tendresse persistante.

La mort n’a touché que la première supérieure, elle en a respecté l’œuvre, qui s’est dilatée lentement, mais avec une continuité qu’expliquent les services rendus chaque jour aux déshéritées de la lumière. L’accroissement, qui se faisait en quelque sorte normalement pendant les dernières années du second empire, a subi un temps d’arrêt au moment de la guerre. A la fin de 1870, les aumônes furent subitement taries ; le ravitaillement de la maison était très difficile, on en était réduit aux portions rationnées, et, sans quelques provisions de légumes secs emmagasinés dans les caves, on serait tombé de disette en famine. Dès que les troupes allemandes se furent rapprochées de Paris, les Sœurs de Saint-Paul installèrent une ambulance dans toutes les pièces dont elles purent retirer les aveugles et les religieuses ; on tassa les enfans dans les