Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/102

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Elle parla de son projet et se vit approuvée. Ce fut en dehors du monde religieux qu’elle rencontra les plus vifs encouragemens, dans la personne du docteur Ratier, qui allait souvent à l’ouvroir visiter les enfans malades et leur donnait même quelques leçons de français et d’histoire d’après la méthode Jacotot, dont il était partisan. Il mit Anne Bergunion en rapport avec l’abbé de La Bouillerie, qui était alors vicaire-général du diocèse de Paris et qui décida M. Sibour à visiter, au mois de mai 1852, l’atelier de la rue des Postes, où travaillaient les aveugles mêlées aux voyantes. Cette visite paraît avoir définitivement déterminé la vocation d’Annette, car c’est après l’avoir reçue qu’elle formula un règlement de vie religieuse et qu’elle adopta un costume noir se rapprochant de celui des ordres monastiques.

L’ouvroir devenait trop restreint pour le nombre d’ouvrières voyantes qui s’y pressaient ; on se transporta à Vaugirard, au mois de janvier 1853, dans une maison assez vaste qui fut le véritable berceau de l’œuvre, car c’est là que, le 12 mai de la même année, l’abbé de La Bouillerie vint donner l’habit, c’est-à-dire le costume religieux, à Anne Bergunion et à douze de ses « enfans, » parmi lesquelles sept étaient aveugles. La communauté des Sœurs de Saint-Paul venait de prendre naissance. Une communauté qui n’a pas d’aumônier, cela ressemble à une compagnie de soldats qui n’a pas de capitaine ; les prêtres, qui, deux fois par semaine, venaient célébrer la messe ou recevoir la confession, se récusaient et faisaient comprendre qu’ils n’allaient pas tarder à cesser un service que leur règle n’autorisait pas explicitement. La communauté était pauvre et ne pouvait rémunérer que d’une façon dérisoire les soins quotidiens qu’elle était en droit d’attendre d’un ecclésiastique spécialement attaché à la maison. La vacance menaçait de se prolonger, et, sans désespérer, on commençait à craindre que la chapelle ne fût trop désertée, lorsque l’abbé Juge, qui revenait de Rome, où il avait accompagné l’évêque de Chalcédoine, se présenta. Anne Bergunion, devenue la révérende mère supérieure, ne dissimula rien des difficultés au milieu desquelles l’œuvre se mouvait, elle étala sa pauvreté, montra les privations de toute sorte qu’il fallait subir ; elle promit à l’abbé beaucoup de peine et une rétribution insuffisante. Cela ne le rebuta pas ; il vit s’ouvrir devant lui une existence de sacrifices et de dévoûment ; il y entra sans hésiter, et, le 20 novembre 1853, il fut solennellement installé en qualité d’aumônier de la communauté. Il en a été l’âme, et l’on peut dire qu’après Anne Bergunion il en fut le fondateur. Son désintéressement fut extrême ; il refusa les honoraires qu’on lui offrait, les réservant à l’ornement de la chapelle et à l’entretien d’une