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l’influence : une révolution éclate, il ne reste presque plus rien de l’importance qu’ils ont elle.

Ainsi a passé M. Eugène Rouher, qui vient de s’éteindre dans une sorte d’obscurité après avoir été un des puissans de ce monde. Depuis quelques années déjà, il avait volontairement quitté la scène ; il s’était réfugié dans la retraite, sentant peut-être dès lors les premières atteintes du mal implacable qui a détruit rapidement cette vigoureuse organisation. Depuis quelques mois, il se survivait. M. Rouher était jeune encore lorsque la révolution de 1848 le jetait dans le tourbillon politique, faisant de l’avocat inconnu de Riom un représentant aux deux assemblées de la seconde république, et à trente-cinq ans, il était garde des sceaux dans le premier ministère formé par le président, par le prince Louis-Napoléon, au 30 octobre 1849, pour engager la lutte au bout de laquelle était l’empire. A vrai dire, cette révolution de février, qu’il appelait un jour avec une certaine crânerie de nouveau-venu a une catastrophe, » cette république de 1848 n’était pour lui qu’une transition, une occasion d’entrer avec sa jeune ambition dans la vie publique, de se montrer prêt à recevoir les faveurs de la fortune. Par goût, par habitude de légiste, il n’était peut-être pas pour le coup d’état qui se préparait, pas plus qu’il n’était, peu après, pour les décrets de spoliation par lesquels le 2 décembre se signalait. Une fois la restauration impériale accomplie, il appartenait tout entier au régime nouveau, qu’il n’a cessé depuis de servir et de représenter tour à tour comme vice-président ou président du conseil d’état, comme ministre du commerce et des travaux publics, comme sénateur. Lorsque, vers 1863, Napoléon III, fléchissant déjà sous le poids des fautes et des embarras, se sentait obligé de rendre au parlement quelques droits, de laisser revivre les discussions publiques, M. Rouher se trouvait appelé à un nouveau rôle. A la place de M. Rillault, frappé d’une mort imprévue, il devenait ministre d’état, ministre de la parole, et c’est à ce titre que, pendant des années, il avait à défendre la politique extérieure, la politique intérieure de l’empire devant un corps législatif qui recommençait à s’émouvoir. Il avait à se mesurer, non plus avec une petite opposition dont on étouffait la voix, mais avec des hommes comme M. Thiers, M. Berryer, qui venaient de rentrer dans la vie parlementaire, et tout ce qu’on peut dire, c’est que, par le talent, il n’était point indigne de lutter avec de tels contradicteurs.

Pendant ces dix-huit années d’empire, M. Rouher n’a cessé d’occuper la scène, et il a été mêlé à toutes les œuvres du règne. Ce n’était pas un homme d’état dans le grand sens du mot. Il n’avait ni des idées bien fixes en politique, même dans la politique intérieure, ni une connaissance approfondie des intérêts diplomatiques, dont il parlait