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dans le mariage, ou plutôt, pour elle, vierge et femme mariée, c’est tout un. Elle n’aime son père ou son mari, comme il voudra qu’on l’appelle, ni plus ni moins après qu’avant : elle ne fait aucune différence entre les temps et n’imagine pas qu’il en fasse une. Quant à M. George, elle le préfère au reste de l’état-major ; mars il n’est pas clair pour elle, il est à peine clair pour nous que l’affection qu’elle a pour lui est d’un autre ordre que son amitié pour Martin. L’auteur veut qu’elle se pâme quand elle voit que M. George est blessé ; il permet alors que M. George dépose un baiser sur son front ; mais ce n’est pas le baiser qui l’eût fait pâmer, non, certes ! Agnès, quand Arnolphe veut gager qu’on l’a faussement accusée, lui répond :


Mon Dieu ! ne gagez pas, vous perdriez vraiment…


Quand il demande si Horace lui a fait quelques caresses, elle répond avec candeur :


Oh ! tant ! il me prenait et les mains et les bras,
Et de me les baiser il n’était jamais las.


Comment Smilis, plus innocente qu’Agnès, serait-elle émue d’un baiser ? Je n’imagine pas pourquoi, lorsqu’elle reprend ses sens, elle s’enfuit comme épouvantée !

Au quatrième acte encore, ce n’est pas par hasard que Mlle Reichenberg, pour représenter la jeune femme, s’est vêtue, ou peu s’en faut, ainsi qu’au premier : mousseline blanche sur tunique rouge ou sur tunique bleue, c’est toujours un costume d’enfant de chœur ; Smilis est toujours Mlle Joas ! Elle aime toujours bien l’amiral Joad et ne voudrait pas lui faire de la peine ; elle pense vaguement à M. George, comme à un jeune lévite qui, naguère, entre les exercices religieux, lui procurait des « passe-temps plus doux, » c’est-à-dire lui apprenait de belles chansons et lui racontait de belles histoires. Apparemment, c’est par inadvertance que l’auteur lui donne l’air de comprendre, un moment, quelque chose, quand le vieux Martin lui dit : « L’amiral est jaloux ! » C’est une inconséquence qu’il lui prête, quand il lui fait baisser la tête au nom de George et murmurer ces paroles : « Il faut qu’il s’éloigne ! » Pourquoi George s’éloignerait-il et de quoi l’amiral serait-il jaloux ? Smilis ne peut avoir aucune idée là-dessus ; aussi bien elle n’en a aucune ; nous avons mal vu et mal entendu : la preuve en est que, même après l’avis de Martin, même après ce manège apparent de réflexions, quand Smilis reçoit la nouvelle que George doit partir, d’un geste brusque de petite fille, elle se cache la tête dans le tablier de l’amiral, — je veux dire dans le pan de sa redingote, et se met à pleurer. Serait-elle si niaisement cruelle ? Mais non ! Elle n’a rien compris. D’ailleurs, à la fin, l’auteur la fait reparaître au moment où