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Chaque homme de la flotte suit son exemple et tombe à genoux. Le soldat, arquebuse en main, est à son poste derrière le bastingage, le canonnier se tient, avec la mèche allumée, près du canon. Les ponts resplendissent, couverts d’hommes armés. Sur chaque galère, debout et bien visible au milieu des combattans, se tient un franciscain ou un dominicain, un théatin ou un jésuite, avec sa robe brune ou noire, ayant d’une main le crucifix, de l’autre répandant l’eau bénite, prononçant l’absolution générale et promettant les indulgences et le pardon. »

Le combat, comme il arrivait toujours dans les anciennes batailles navales, tourna promptement à des sortes de duels. Don Juan avait choisi son adversaire : c’était Ali, le commandant turc. Leurs deux galères se cherchèrent, se heurtèrent et ne furent bientôt qu’un champ clos mouvant. Pendant deux heures, chrétiens et Turcs se le disputèrent. Le pacha avait quatre cents janissaires de choix à bord, armés d’arquebuses et d’arcs ; il avait en réserve deux galiotes et dix galères, remplies de janissaires, attachées à son arrière ; les janissaires montaient à son bord avec des échelles. Don Juan avait trois cents arquebusiers, son artillerie était la meilleure. Requesens était à son arrière avec deux galères. Après deux heures de lutte acharnée, une balle frappa Ali-Pacha au front. Un soldat espagnol lui trancha la tête et courut la porter à don Juan, qui était déjà à bord du vaisseau turc ; cette tête fut mise au haut d’une lance. À cette vue, les derniers janissaires perdirent courage ; aussitôt, les chrétiens vainqueurs s’empressèrent d’amener le pavillon turc et de hisser un pavillon avec une croix.

On estime de vingt à vingt-cinq mille le nombre des Turcs qui périrent dans le combat. Cinq mille furent faits prisonniers. Le butin fut immense : on trouva cent cinquante mille sequins dans le seul vaisseau d’Ali. Les galères turques étaient dorées et décorées de riches tentures de soie. Le lendemain du combat, don Juan déjeunait à bord du vaisseau de Doria, avec le prince de Parme qui avait sauté le premier à bord d’une galère turque, avec Colonna, qui s’était couvert de gloire. Il leur avoua que cette victoire lui semblait plus digne de son père que de lui-même.

Venise apprit la première la nouvelle du triomphe des confédérés. Le nom de don Juan fut bientôt dans toutes les bouches : les poètes le chantèrent ; le sénat ordonna à Titien un tableau commémoratif de Lépante. Quand don Juan revint avec la flotte à Messine le 31 octobre, il fut reçu avec des transports de joie. Il y arriva à peu près au moment où Philippe II reçut la nouvelle de Lépante. Le roi d’Espagne était à l’église et, sans donner aucune marque d’émotion, il attendit que le service fût terminé et fit chanter un Te Deum. Le pape écrivit une lettre de félicitation à son fils bien-