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une fontaine au milieu de la cour de la maison qu’elle habitait. Comme il était déjà de notoriété publique qu’elle était la mère de don Juan, il demanda qu’on améliorât sa condition. On lui donna un établissement, une duègne, six suivantes, deux pages, un aumônier, un chapelain, six valets ; elle fatigua le duc d’Albe par son extravagance et par son désordre. Elle dépensait tout son argent en festins et vivait entourée d’amans ou de prétendans. Philippe II, qui la fit appeler madame, ne voulait point qu’elle se remariât et tenta de la faire entrer dans un couvent en Espagne, mais elle résista à tous les ordres, et c’est seulement quand son fils vint dans les Pays-Bas en qualité de gouverneur, qu’on put la décider à aller en Espagne. Elle se vengea bassement de ce qu’elle regardait comme un exil en disant que don Juan n’était pas le fils de l’empereur. Charles-Quint confia son fils naturel à un gentilhomme de la Vieille-Castille, Louis Mendez Quixada, dont la fidélité était à toute épreuve. Quixada avait quitté l’armée avec le rang de colonel ; il était chambellan de l’empereur, qui l’honorait de toute sa confiance. Quixada proposa à Charles-Quint de remettre L’enfant entre les mains de sa propre femme, qui était en Espagne, ou du curé de Leganes, un petit village des environs de Madrid. L’empereur fit d’abord choix du curé.

Le jeune prince fut conduit en Espagne par un musicien, Massi, qui quittait le service de l’empereur et se retirait à Leganes ; il y passa les premières années de son enfance avec le violoniste et sa femme, Ana de Médina, et reçut les leçons du curé. En 1554, un serviteur de Charles-Quint, Charles Prévost, se rendit à Leganes et sa voiture s’arrêta à la porte d’Ana de Médina. Il traita le jeune enfant avec les marques d’un grand respect et l’emmena à Valladolid, au grand désespoir de doña Ana, qui s’était habitué à regarder Geronimo (c’était le nom qu’on lui donnait alors) comme son propre fils. On donna des vêtemens neufs à l’enfant, et on le mena à Villagarcia, chez la femme de Quixada, doña Magdalena de Ulloa. Son mari l’avait prévenu, il lui envoyait « le fils d’un grand homme, son cher ami. » Le nom de Charles-Quint n’avait pas été encore prononcé.

Doña Magdalena n’avait pas d’enfant, elle s’attacha à celui qu’on lui confiait, et l’éleva avec la tendresse d’une mère. Quixada avait le double de son âge ; il ne venait que rarement voir ses vassaux, puis retournait auprès de son maître dans les Pays-Bas. Pendant un de ses séjours, le feu prit à Villagarcia pendant la nuit ; et doña Magdalena devina le secret qu’on lui avait toujours caché quand elle vit Quixada, oublieux de sa propre femme, courir d’abord au ; lit de Geronimo pour le mettre à l’abri.

Quand Charles-Quint se décida à se retirer en Espagne, Quixada