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avait pourtant déjà plus de deux cents ans qu’il avait été prêché dans le Céleste-Empire et au Japon par saint François Xavier. C’est un petit attaché de l’ambassade coréenne en Chine, un nommé Pieki, qui, le premier, à son retour de Pékin, où il s’était fait chrétien, fit des prosélytes dans la capitale coréenne. Son père conçut un tel chagrin de cette conversion qu’il voulut se suicider. Pieki, pour n’avoir pas la mort de son père à se reprocher, revint à la religion de ses ancêtres et n’en changea plus. Quoi qu’il en soit, le germe déposé par lui eût sans doute prospéré si des persécutions, qui commencèrent dès 1791, n’eussent duré jusqu’à notre époque. Dans le principe, ce furent surtout les nobles, les savans, les lettrés, qui se firent chrétiens et confessèrent leur foi nouvelle jusque dans les tortures et jusqu’à la mort. Peut-être ne voyaient-ils dans l’évangile qu’une école de haute philosophie. Plus tard, ce furent, comme aux premiers temps de l’église, les pauvres et les esclaves qui demandèrent en plus grand nombre le baptême, soit pour relever à leurs yeux leur condition morale, soit encore pour trouver dans l’espérance d’une vie céleste la force de supporter leur misère. Ceux-ci, également, ne marchandèrent pas leur sang à la nouvelle doctrine.

L’histoire du christianisme en Corée n’est, du reste, qu’un long martyrologe. En 1839, MM. Imbert, Maubant et Chastan, tous les trois missionnaires français, furent décapités après de grandes souffrances. En 1846, le gouvernement de Louis-Philippe songea à venger leur mort. Le 10 août, la frégate la Gloire, commandant Lapierre, et la corvette la Victorieuse, commandant Rigault de Genouilly, avançaient de concert dans la mer de Corée, au milieu d’un groupe d’îles, dans des parages où les Anglais avaient trouvé de soixante-douze à quatre-vingts pieds d’eau. Ils étaient par 35° 45’ de latitude nord et 124° 8’ de longitude est. Rien n’annonçait un danger, lorsque les deux navires touchèrent à la fois. Aux voies d’eau qui se déclarèrent immédiatement, on reconnut que tout espoir de sauver les bâtimens devait être abandonné. Dans la journée du 12, les marins français, au nombre de six cents, opérèrent leur débarquement sur une île voisine du naufrage, et, le 13 au soir, les deux commandans quittèrent les derniers leurs navires. On eut à déplorer la mort de deux hommes, qui se noyèrent en allant porter au large une ancre destinée à sauver la corvette. Les équipages furent rapatriés, ou plutôt reconduits en Chine par des navires anglais, qui, à la nouvelle du sinistre, étaient accourus pour porter secours à nos naufragés. Et ce fut tout.

De 1864 à 1866, d’autres missionnaires français pénétrèrent en Corée. L’un d’eux, M. Pourthié, envoyait, le 20 novembre 1865, au supérieur des Missions étrangères, une lettre, — la dernière qu’il écrivit avant son martyre, — dont nous reproduisons quelques lignes