Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/885

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sonne, du reste, ne serait assez hardi pour vendre ouvertement des métaux de valeur. Le gouvernement coréen, dans la crainte de voir le royaume envahi par les étrangers, a toujours voulu faire croire que la nation était pauvre, et pour cela, rien n’a été plus simple que de défendre à son peuple de s’enrichir. D’ailleurs, un des grands obstacles au développement du commerce a été, jusqu’à nos jours, l’imperfection du système monétaire : les monnaies d’or et d’argent n’existent pas. La seule monnaie qui ait un cours légal est la sapèque. C’est une petite pièce de cuivre avec alliage de plomb, de zinc et d’étain, de la valeur de deux centimes ou deux centimes et demi. Elle est percée au centre d’un trou destiné à laisser passer une ficelle avec laquelle on en lie un certain nombre qui prend ainsi le nom de ligature. Deux cents francs font la charge d’un homme. Rien n’est mieux trouvé pour n’avoir pas d’argent sur soi.

Les forêts, qui couvrent un tiers du pays, ont permis aux tigres de se multiplier. Ces fauves font un nombre considérable de victimes, les paysans coréens n’étant pas plus autorisés que les paysans du Tonkin à faire usage d’armes à feu pour se défendre contre leurs attaques. À l’époque où la Capricieuse faisait l’hydrographie des côtes coréennes sous la direction de M. Mouchez, alors simple lieutenant de vaisseau, plusieurs officiers de marine de mes amis descendirent à terre dans des parages déserts pour enrichir la collection de coléoptères que je formais aux Philippines. Ils durent revenir à bord sans rien récolter. À quelques mètres du rivage, le sol était couvert d’empreintes de tigres, d’ours et de sangliers, et s’aventurer, même à une portée de fusil de la mer, n’eût pas été sans danger.

Le bœuf est employé au labourage, et le cheval, comme celui de Singapore, est de petite taille, mais fort et infatigable ; le chien sans poil se mange et passe pour un mets des plus délicats[1]. Comme en Chine, il y a énormément de porcs. Le gouvernement défend l’élevage des moutons et des chèvres : le roi seul a ce privilège. Les moutons lui servent pour les sacrifices des ancêtres ; les chèvres sont réservées pour les offrandes à Confucius. Autre particularité : la culture de la pomme de terre est interdite, simplement parce qu’elle a été importée par nous ! Mais ce qui rend le séjour de la Corée insupportable aux Européens, c’est la vermine de toute espèce qui les assaille. Il y a des cancrelats gros comme des hannetons qui, l’été, rongent littéralement l’épiderme, et rendent tout repos impossible dans l’intérieur des maisons. Ils se multiplient avec une si prodigieuse rapidité qu’un proverbe coréen dit : « Quand

  1. Selon les missionnaires, ce chien est dressé au nettoyage des marmots au berceau.