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comment, en cinquième, à des enfans qui ne savent pas encore bien leur orthographe et au risque de la leur brouiller complètement[1], on donne à traduire des morceaux choisis d’auteurs du XVIe siècle ; comment, en quatrième, on entre avec eux dans de savans développemens sur l’origine des mots et l’histoire de la langue ; comment les préfixes, les suffixes, l’accent tonique et les doublets tiennent une si large place aujourd’hui dans l’enseignement.

Les doublets ? Vous avez bien entendu ? — Oui. — Avez-vous compris ? Savez-vous ce que c’est qu’un doublet ? — J’en doute, et pour cause. Dernièrement, dans une réunion de professeurs et d’académiciens, quelqu’un posa malicieusement la question. Il y avait là des littérateurs et des historiens de premier mérite, un membre éminent du conseil supérieur de l’instruction publique, des hommes de trente, de quarante et de soixante ans, trois générations universitaires. Or, dans ce grave aréopage, personne, pas même le membre du conseil supérieur, qui l’avait voté, ne connaissait le doublet. Seul, un professeur de la faculté des lettres en avait quelque soupçon ; encore avoua-t-il qu’il l’ignorait il y a six mois. Eh bien ! tous nos professeurs en sont ou en étaient là. Quand les nouveaux programmes ont paru, il leur a fallu se remettre à l’école, apprendre en quelques semaines ce qu’ils étaient chargés d’enseigner et désapprendre ce qu’ils enseignaient depuis dix, vingt ou trente ans, quitter leur Burnouf, leur Lhomond et leur Quicherat pour les nouvelles grammaires et les nouveaux lexiques. Pour quelques-uns, dit-on, ç’a été un coup de fouet, une excitation. Leur enseignement s’est enrichi de vues nouvelles, élargi, a pris du mouvement et de la vie ; mais, pour la grande majorité, quel trouble et quelles difficultés ! et, pour les classes, quelle cause fatale d’affaiblissement !

Voyez, en effet, que de contradictions. D’une part, on a voulu donner à l’étude des langues un caractère plus scientifique ; on prétend les enseigner d’après une méthode perfectionnée qui vise beaucoup moins au brillant qu’à la profondeur ; d’autre part, on a rendu cette étude si compliquée, on en a élargi le champ d’une façon si démesurée, on a tant enflé les programmes, que les plus habiles professeurs se déclarent incapables de les parcourir en entier, et qu’ils ne peuvent enseigner les parties qu’ils en retiennent que d’une façon très superficielle et, pour ainsi dire, en courant. Pareillement, on a supprimé le vers latin, réduit le discours latin à n’être

  1. Jamais, m’ont assuré plusieurs professeurs de cinquième, l’orthographe des élèves n’a été plus défectueuse que depuis qu’on a supprimé l’étude du latin en huitième et en septième.