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heures d’arithmétique, de cosmographie, de physique et de chimie en sixième ; quatre heures d’arithmétique, de géométrie et de zoologie en cinquième ; enfin, pour borner là cette riche énumération, quatre heures d’arithmétique, de géométrie et de géologie en quatrième ? N’est-ce pas à faire frémir, et vous figurez-vous ce que pourra bien valoir dans dix ans, au physique et au moral, la génération qui aura été soumise à un pareil entraînement ? On accusait déjà l’ancienne université de surmener les enfans, de surexciter leurs facultés intellectuelles aux dépens de leur santé, de négliger leur éducation, et l’on n’avait pas absolument tort. Sur ce dernier point, cependant, l’université pouvait répondre avec raison à ses détracteurs : « Non, je ne néglige pas autant que vous le dites l’éducation des enfans qu’on me confie. Cette éducation, je la leur donne et ils la trouvent dans mon enseignement même, dans son caractère général et sa haute vertu morale, dans le commerce intime où je les fais vivre avec les maîtres et les chefs-d’œuvre de la pensée humaine. Ils la trouvent du jour où ils m’arrivent, jusqu’au jour où ils me quittent, dans les livres que je mets entre leurs mains, depuis le De Viris jusqu’à Cicéron et jusqu’à Tacite ; dans les leçons et dans l’atmosphère d’honnêteté qui s’en dégagent. » Que peut-elle aujourd’hui répondre à ceux qui, ses programmes à la main, lui reprochent d’avoir perdu la mesure de l’enfant, de traiter des cerveaux à peine formés comme des cerveaux faits, de les écraser sous le nombre et sous le poids de ses matières ? Passe encore pour les leçons de choses et les élémens de l’histoire naturelle qui n’impliquent pas de bien grands efforts d’attention ni de raisonnement, et qui sont, par suite, assez inoffensifs. Mais toute cette arithmétique, toute cette géométrie, toute cette cosmographie, toute cette géologie et toute cette zoologie, rudis indigestaque moles, quel besoin avait-on d’en bourrer, comme on l’a fait, le plan d’études ?

Sans doute, il faut, et l’on peut sans inconvénient s’adresser de très bonne heure à la raison, et les sciences, à ce point de vue, sont infiniment utiles. Elles développent le goût des vérités positives et des démonstrations rigoureuses ; elles donnent à l’esprit des habitudes de précision et de netteté ; mais c’est à la condition d’être administrées avec beaucoup de prudence et à doses soigneusement graduées. Autrement, de deux choses l’une : ou elles rebutent absolument les enfans et les dégoûtent à jamais ; ou elles en font, quand ils les supportent, de précoces calculateurs, de petits êtres raisonneurs, absolus, tranchans, voyant déjà le monde à travers leurs théorèmes et leurs expériences, n’y apercevant que la matière, entichés de principes abstraits et les appliquant à tout, incapables de saisir une nuance et tout prêts à traiter la vie, la société, la politique,