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peu d’histoire et de géographie dans les classes de lettres et un soupçon de physique, de chimie et d’histoire naturelle dans les classes de sciences ; seuls les mathématiques et le latin avaient leurs professeurs particuliers. Elle enseigne aujourd’hui toutes les sciences ou peu s’en faut, toute l’histoire, toute la géographie, la philosophie, le grec, le latin, le français, les langues vivantes ; ses programmes, à force de s’enfler, ont fini par devenir une véritable encyclopédie. Par suite, et du moment qu’on se proposait d’y attribuer une plus large place à certaines études, on était fatalement conduit à restreindre les autres.

Mais, — et c’était ici le point délicat, — que devait-on sacrifier et que devait-on conserver ? Les esprits prudens et modérés, comme M. Jules Simon, repoussaient très loin l’idée de supprimer l’étude des langues anciennes ou même seulement d’en diminuer l’importance. A leurs yeux, c’eût été « un véritable crime que de renoncer à recevoir directement de tant de maîtres incomparables les plus hautes leçons de l’art, de la morale et de la logique[1]. » Pour gagner du temps, on devait se contenter d’enseigner le grec et le latin suivant une méthode plus simple et par des procédés abrégés. Il ne fallait plus l’enseigner comme au XVIIe siècle, où le latin était encore une langue vivante, où Descartes était presque obligé de s’excuser de donner en français son discours de la Méthode, il fallait désormais étudier les langues en vue de les comprendre et non de les parler ou de les écrire avec une perfection relative.

C’était, sous une forme plus saisissante par sa concision même, l’idée déjà mise en avant par M. Bréal et propagée par le groupe dont nous parlions tout à l’heure. Seulement, où M. Jules Simon, avec son tact supérieur, se contentait d’indiquer la voie dans laquelle il convenait de s’avancer avec beaucoup de ménagemens, M. Bréal et les philologues de son école voulaient une révolution complète. A leurs yeux, la grande erreur de la pédagogie française était de ramener toute l’instruction à la forme, au style. Pour l’université, « l’art d’écrire, c’était l’art de penser[2]. » L’honnête homme, au sens complet que nos pères donnaient à ce mot, voilà l’idéal arriéré que nos professeurs avaient en vue. Il se pouvait que nos lycées fissent des hommes « sachant diriger leur esprit d’une manière sensée et droite et trouvant pour leurs pensées une expression toujours naturelle et juste ; » ils étaient incapables de former des intelligences susceptibles a de découvrir et d’observer les faits. » Sans doute, nos bons écoliers de sixième savaient déjà tourner fort

  1. M. Jules Simon, circulaire du 27 septembre 1872.
  2. Michel Bréal, Quelques Mots sur l’instruction publique.