Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/853

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

combat, s’est trouvée corrigée dans la pratique par certains tempéramens qui s’imposent parfois aux assemblées les plus révolutionnaires. Il a suffi de la présence, dans le conseil supérieur de l’instruction publique, d’une minorité, très petite par le nombre, considérable par le poids et l’autorité de ses membres, pour faire reculer sur plus d’un point les novateurs à outrance. Le sacrifice qu’on méditait n’a pu être consommé ; l’exécution ou, si vous l’aimez mieux, la réforme n’a été que partielle.

Reste à savoir, et c’est ce que nous nous proposons de rechercher, jusqu’à quel point elle s’imposait, quels en ont été le caractère et les traits généraux, et si les résultats qu’on s’en promettait répondent aux espérances de ses auteurs.


I

Tout d’abord, et pour, prendre ces trois questions dans leur ordre logique, rappelons aussi brièvement que possible, les principales critiques dont notre enseignement secondaire était l’objet de la part des publicistes avant la réforme de 1880.

Ces critiques étaient de plusieurs sortes : les unes générales et les autres particulières. Ceux-ci s’attaquaient au fond même des études classiques, c’est-à-dire au latin et au grec et poursuivaient nettement leur destruction ; ceux-là se bornaient à demander qu’on en réduisît le domaine et qu’on augmentât celui des sciences, des langues vivantes, de l’histoire et de la géographie. Un autre groupe était surtout partisan de l’introduction, dans l’enseignement des langues anciennes, de nouvelles méthodes plus en rapport avec les progrès de la linguistique et de la philologie. De ces trois opinions, la première ne comptait, à vrai dire, presque aucun partisan dans l’université ni parmi les écrivains ayant quelque autorité. Mais elle n’en était pas moins dangereuse. La foule et beaucoup de politiciens lui étaient acquis : ceux-ci pour suivre celle-là, celle-là par ignorance et par une suite de ses instincts égalitaires. La démocratie n’aime pas les lettres, et peut-être n’a-t-elle pas tort. Elles sont de leur nature trop aristocratiques et tiennent au passé par trop de liens pour ne pas lui être suspectes. Il n’y a pas un vrai lettré qui ne soit un peu vieille. France, et la vieille France n’est pas, comme on sait, très en odeur de sainteté par le temps qui court. Les sciences offrent moins de dangers. Un savant méprise nécessairement un peu le passé ; il ne peut avoir, en tous cas, pour lui qu’une tendresse toute platonique ; il ne vit pas dans la familiarité des anciens ; il n’en fait pas le charme de son existence, il n’entretient pas avec eux ce commerce intime et délicat qui rend si pénibles ensuite certains contacts. Il marche les yeux fixés