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la synthèse ; » qui traite ensuite « de la définition et de la division, de la classification, » qui se borne à demander que l’on parle « de la certitude en général et de ses différentes espèces. » Est-ce là ce qu’on peut appeler disserter sur l’essence de la vérité ? Et, après tout, de quoi parlera-t-on en logique, si ce n’est de la vérité ?

N’oublions pas une dernière nouveauté ajoutée au programme de l’enseignement philosophique : c’est l’histoire de la philosophie. Cette nouveauté est, avec la psychologie, ce qui souleva alors le plus d’objections. C’était enseigner le scepticisme à la jeunesse que de dérouler devant elle « ce tableau des aberrations humaines. » L’histoire de la philosophie n’est pas une école de scepticisme, mais une école de libéralisme. De même que l’observation des faits, de même la connaissance des systèmes ouvre l’esprit et l’affranchit des préjugés et de l’intolérance. En apprenant que les plus grands hommes se sont trompés, on apprend à croire que l’on peut se tromper soi-même ; on apprend aussi à respecter la pensée d ’autrui, à admirer les efforts de l’esprit humain, dans ses entreprises même infructueuses ; mais on apprend encore quelque chose de plus, c’est qu’en dépit de la diversité et de la contradiction des systèmes, il y a des vérités communes et des vérités qui s’accroissent avec le temps, que chacun peut avoir une portion de la vérité qui n’exclut pas la vérité chez les autres ; enfin qu’il y a quelque chose à prendre dans toutes les écoles, et que toutes ont servi la cause de la raison humaine : c’est donc une école d’équité, de bienveillance, de fraternité en même temps que de liberté. Aussi a-t-elle disparu dans la réaction de 1852 : preuve manifeste du libéralisme de cet enseignement.

On voit quelle faible part occupent dans le programme de Victor Cousin les prétendus dogmes imposés, officiels, autoritaires auxquels on soutient que la science tout entière était subordonnée et comme suspendue. Mais ces dogmes qui occupent si peu de place quant à la matière, ne s’imposaient-ils point néanmoins par la forme ? Le programme a-t-il ce caractère impérieux, autoritaire, dogmatique qu’on lui impute et qui constituerait, dit-on, une orthodoxie philosophique substituée à l’orthodoxie religieuse ?

Oui, sans doute, nous trouvons dès les premières lignes du programme un ou deux articles qui ont un caractère très autoritaire : par exemple : « De la vraie méthode philosophique. » Il y a donc une vraie méthode ? Les méthodes ne sont donc pas libres ? Une philosophie est- elle libre quand la méthode ne l’est pas ? Quelle est d’ailleurs cette vraie méthode ? La voici résumée dans un autre article en termes qui ne sont pas moins impérieux : « Nécessité de commencer l’étude de la philosophie par l’étude de la psychologie. » Ainsi, non-seulement, un tel ordre est établi en fait ; mais on en fait une obligation.