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philosophique : c’était de supprimer la philosophie dans les lycées et de la renvoyer à l’enseignement supérieur. Nous ne voulons pas traiter ici cette grosse question. Restant sur le terrain.historique, contentons-nous de dire qu’à l’époque dont nous parlons, personne, absolument personne, parmi les libéraux, n’aurait eu une telle pensée : c’était le parti catholique et non le parti philosophique qui demandait la suppression ou la restriction de l’enseignement de la philosophie, et c’est à ce parti que la concession a été faite en 1852. Pour les libéraux, l’établissement d’un enseignement philosophique indépendant n’était pas seulement la conséquence de l’état laïque ; il était en même temps un instrument de propagande pour leiprincipe.de la laïcité. Le même besoin qui a fait créer de nos jours dans les écoles primaires le cours de morale a fait créer ou développer en 1830 dans les établissemens secondaires le cours de philosophie. Par cela seul que l’état se séparait de la religion, il se devait à lui-même de ne pas se désintéresser du gouvernement spirituel des esprits. Les lettres et les sciences ne vont pas jusqu’au fond de l’âme. Les plus grands intérêts de la vie sont représentés par la philosophie. L’idéal était de créer une société qui reposât sur des principes communs et fraternels, sans exclure la diversité des opinions et des croyances. L’unité de la raison commune était le principe : la divergence des convictions ne devait venir qu’après. Telle était la doctrine de ce temps-là.

Ce fut donc au milieu des difficultés de toute nature que nous venons de résumer que Victor Cousin s’attacha à cette grande entreprise, à savoir l’établissement d’un enseignement laïque de la philosophie. Mais peut-être se demandera-t-on si ce fut bien là son entreprise, si nous ne lui prêtons pas après coup des idées d’un autre temps, si, peut-être involontairement et par une partialité excusable, nous n’essayons pas de lui faire une popularité posthume à l’aide des passions de notre temps. Il faut donc recourir aux sources et aux textes, invoquer ses propres déclarations, répétée à plusieurs reprises, dans les occasions les plus solennelles, et qu’il n’a jamais démenties : nous les tirerons de la grande discussion qui eut lieu en 1844, à la chambre des pairs, à l’occasion de la loi sur la liberté de renseignement, loi votée par cette chambre après deux mois de savantes et profondes délibérations, ; mais qui ne fut pas transportée à la chambre des députés. Dans cette discussion mémorable, Victor Cousin, avec une éloquence supérieure et une ténacité infatigable, tint tête à lui seul non-seulement à son jeune et brillant adversaire, le chef de la droite, M. de Montalembert, mais même au parti ministériel, à ses anciens amis Villemain, Guizot, le duc de Broglie, qui essayaient alors de tenir la balance égale entre l’université et le clergé. Voici comment Cousin