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nous oublions les efforts qu’il a fallu pour y arriver. Nous devrions cependant nous rendre compte de ces difficultés, en les voyant se reproduire sous nos yeux dans un autre domaine. Encore ne s’agit-il aujourd’hui que d’une extension ou application nouvelle du principe, tandis qu’en 1830 il s’agissait du principe lui-même. Il s’agissait de déposséder au nom de l’état le clergé d’un privilège qu’il avait exercé exclusivement pendant tant de siècles ; il s’agissait de substituer à un corps célibataire, respecté à cause de sa robe, couvert de l’autorité religieuse toujours si sacrée, en possession d’une doctrine fixe, de lui substituer, dis-je, un corps mêlé au monde, partagé entre la famille et l’école, composé d’hommes de tous les cultes et même sans culte, dont chacun individuellement est inconnu au moins quand il débute ; il s’agissait, non plus, comme sous la restauration, de marier les deux élémens avec subordination de l’élément laïque à l’élément religieux, mais d’exclure absolument celui-ci (ou du moins de l’isoler dans sa sphère), pour assurer à l’autre l’indépendance. Était-ce donc là un problème si facile qu’il y ait lieu à tant de hauteur et de dédain envers ceux qui l’ont résolu ?

Si l’établissement de l’université en général était déjà une si grande difficulté, cette difficulté n’était-elle pas doublée quand il s’agissait en particulier de cet ordre d’enseignement que l’on appelle la philosophie et qui touche de si près à la théologie ? Pouvait-on être assuré d’avance, avant toute preuve, qu’on aurait partout des maîtres circonspects, éclairés, délicats, attentifs à ne pas confondre la neutralité de- l’état avec la prédication antireligieuse ? Était-il donc si facile d’assurer la liberté de penser des maîtres sans mettre en péril la liberté de conscience des familles et des élèves ? Et, lorsque nous voyons aujourd’hui la plus légère imprudence, presque aussitôt réparée, mettre tout en feu et amener des conflits dangereux, n’a-t-on pas pu, à cette époque, avoir des inquiétudes du même genre ? N’était-il pas possible qu’un professeur peu exercé, peu maître de sa parole et de sa pensée, fût amené en parlant de l’immortalité de l’âme, à combattre l’éternité des peines ; en parlant de l’origine du mal, à traiter du péché originel ; en parlant de Dieu, à toucher au dogme de la trinité ? Précisément, parce qu’à cette époque la séparation n’avait pas encore eu lieu, on se tenait à quatre pour ne pas parler de ces choses. Toutes ces difficultés ont disparu aujourd’hui. Il s’est fait une tradition que nos jeunes professeurs possèdent naturellement parce qu’ils l’ont reçue de leurs maîtres. Il y a un tact professionnel qui s’est formé de soi-même avec le temps et qui n’a plus besoin d’être enseigné. Mais, en 1830, on était en présence de l’inconnu. Pour la première fois on envoyait des jeunes gens, à peine sortis des bancs de l’école, enseigner sur