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l’instruction publique passe entre les mains de l’évêque d’Hermopolis. L’abbé Nicole est le recteur de l’académie de Paris. Les rectorats, les professorats, les directions des collèges communaux, les inspections sont en grande partie et presque partout confiés à des prêtres. La prétention de rendre l’enseignement au clergé et de le mettre en possession de l’université, est partout affichée. La religion catholique étant la religion de l’état d’après la charte, l’enseignement devait être catholique. En même temps, on rétablissait l’ancienne scolastique. L’enseignement de la philosophie devait se faire en latin. Le programme portait parmi les questions de morale celle-ci : de Definitione et Necessitate religionis : ce qui ne pouvait s’entendre que de la religion catholique, religion de l’état. Cependant, sous ce régime même, un progrès important fut accompli : ce fut l’établissement d’une agrégation de philosophie. Mais veut-on savoir quels étaient les juges du concours ? C’étaient M. l’abbé Daburon, inspecteur-général, président, assisté de M. l’abbé Burnier-Fontanelle, doyen de la faculté de théologie[1].

Ce qui résulte de ces faits, c’est que l’œuvre d’un enseignement libre, d’un enseignement séculier de la philosophie, séparé de toute théologie et de toute influence ecclésiastique, était, en 1830, une œuvre encore toute neuve et à peine entamée. A cette époque, vingt ans à peine s’étaient écoulés depuis la création de l’université française ; et ces vingt ans avaient été remplis d’abord par cinq années de despotisme impérial, puis par quinze ans d’existence disputée et en grande partie subjuguée par l’élément clérical. Tout était donc à faire. Le gouvernement de juillet était né principalement de la réaction contre le clergé. La plus considérable modification apportée à la charte avait été la suppression de l’article qui déclarait la religion catholique religion de l’état. L’état étant sécularisé, l’enseignement devait l’être aussi, et l’enseignement de la philosophie également. Telle a été l’entreprise de Victor Cousin, son but unique et constant ; tel a été aussi le résultat obtenu. Il a voulu fonder et il a fondé en France l’enseignement laïque de la philosophie.

Pour juger de l’importance d’une telle entreprise, mesurons-en les difficultés. Ces difficultés nous paraissent peu de chose maintenant que l’œuvre est accomplie. Plus le succès a été grand, plus

  1. A ces deux personnages, qui garantissaient l’orthodoxie du concours, étaient adjoints trois membres laïques, MM. Laromiguière, Cardaillac et Bousson. Cette liste nous révèle un détail piquant} c’est qu’a cette époque il se fit une alliance entre le cléricalisme et le condillacisme. Néanmoins il faut reconnaître avec M. Damiron (la Philosophie au XIXe' siècle, t. II, p. 117), que c’est M. Laromiguière qui, seul, à cette époque, a maintenu quelque esprit philosophique dans l’enseignement.