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facile par les événemens, et l’on ne pouvait plus dire que l’expérience serait faussée par l’intervention d’une autorité impériale ou monarchique, dont la tutelle intéressée ne méritait que d’être repoussée avec dédain, comme un présent d’Artaxerce. — C’est ici qu’il devient utile d’étudier l’enquête ordonnée en 1883 par le ministre de l’intérieur. Cette enquête doit nous montrer ce qui a été fait, depuis 1870, sous la république, en matière d’association.

Au 31 juillet 1883, on comptait, dans le département de la Seine, cinquante et une associations coopératives ouvrières de production. Le document ministériel qui en donne la liste ne fournit aucune indication sur les sociétés de consommation, ni sur les sociétés de crédit, mais on sait que les sociétés de consommation, après divers essais, n’ont pu se maintenir qu’en très petit nombre, et que les sociétés de crédit n’ont pas même été expérimentées. C’est pour ces motifs que l’enquête s’est occupée seulement des sociétés coopératives de production ; ce sont, d’ailleurs, les plus importantes à étudier au point de vue de la question du travail et dans l’intérêt des ouvriers. Sur les cinquante et une sociétés de production dont l’existence était constatée en 1883, trente-quatre étaient constituées sous la forme de la société anonyme à capital variable, suivant les conditions réglées par la loi de 1867 ; le surplus était soumis au régime de la société anonyme ordinaire ou de la société en commandite. — Il reste à peine une dizaine de sociétés coopératives dont l’origine remonte au-delà de 1870. Les sociétés fondées de 1848 à 1850, dans la ferveur du premier mouvement socialiste, ou de 1865 à 1870, avec le patronage et la commandite de la caisse d’escompte populaire ou de la banque impériale, ont presque toutes disparu. La majeure partie des sociétés actuellement existantes date de 1880 à 1883, et cette résurrection apparente de la coopération ne peut être attribuée qu’à une influence administrative, le conseil municipal de Paris, la préfecture de la Seine et le ministère de l’instruction publique ayant manifesté l’intention d’accorder leur préférence, pour la commande de certains travaux, à des sociétés ouvrières. Il est à craindre que la plupart de ces opérations, organisées en vue d’exécuter les travaux de la ville et de l’état, ne soient obligées de se dissoudre, lorsque, pour un motif ou pour un autre, les travaux viendront à leur manquer. Admettons cependant qu’elles survivent et comprenons-les dans cette statistique de la coopération. Tout cela donne le total de cinquante et une sociétés en 1883, représentant un capital de 3 à 4 millions et comptant à peine quatre mille associés. Ces chiffres sont maigres. L’échec de la coopération a été aussi complet sous la république de 1870 que sous la république de 1848 et sous l’empire, et pourtant l’expérience récente s’est poursuivie dans des conditions plus favorables : elle n’a pas été au même degré qu’en 1848,