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appliqua tout à la fois à la consommation et à la production d’un autre côté, on signalait le succès des associations coopératives de crédit organisées en Allemagne par M. Schulze-Delitzsch, économiste et financier de premier ordre, socialiste libéral et sensé, dont l’initiative, alors récente, avait créé une centaine de banques à l’usage des artisans et des plus modestes travailleurs. Il n’était question que de la coopération, des équitables pionniers, de M. Schulze-Delitzsch. L’engouement était général. Il suffisait, disait-on, de transporter en France les procédés et les règlemens qui avaient réussi en Angleterre et en Allemagne, que l’Italie commençait à s’approprier et qui semblaient destinés à opérer partout une révolution bienfaisante dans la condition des ouvriers. — En même temps que la coopération, mais au second plan, le système de la participation aux bénéfices, pratiqué déjà en France sur une petite échelle, était expérimenté dans de grandes proportions en Angleterre par MM. Briggs, propriétaires de mines de houille dans le Yorkshire. — Par ces moyens, auxquels devait s’ajouter l’action des syndicats constitués à l’instar des trades unions d’Angleterre, l’émancipation du travailleur était certaine ; l’harmonie, cimentée par le partage équitable des profits, existait entre le travail et le capital ; plus de récriminations ; plus de grèves ; dans les ateliers comme dans la société, le contentement et la paix.

Ce n’étalent point dissertations vaines et platoniques. Le gouvernement, après avoir obtenu, non sans peine, la réforme du code pénal en matière de coalition, accorda la plus grande tolérance aux syndicats ouvriers qui se réunissaient contrairement aux termes rigoureux de la loi ; il ouvrit une enquête sérieuse sur la coopération avec le sincère désir de faciliter en France l’application du système ; il introduisit dans la loi un chapitre spécial à l’usage des sociétés coopératives. En dehors du gouvernement, et même contre lui, afin de combattre l’influence que pouvait lui donner sur la classe ouvrière un patronage aussi manifeste, il se forma divers comités de jurisconsultes appartenant aux partis de l’opposition, lesquels tenaient bureau ouvert pour rédiger des projets de statuts et pour guider les ouvriers dans l’accomplissement des formalités légales. Cela ne devait pas suffire. Les sociétés ouvrières qui essayaient de se constituer étaient le plus souvent dépourvues de capital, et le crédit leur faisait également défaut. On créa des banques pour les commanditer et pour escompter leur papier : en 1865, ce fut la caisse d’escompte qui avait pour fondateurs les membres les plus considérables et les plus estimés de l’opposition libérale ; plus tard, sous le patronage direct de l’empereur, fut instituée une maison de banque dont le capital fut en grande