Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/753

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

forces, parce qu’il commence à l’exécuter trop tard, et que le genre de vie qui y est contraire a trop pris racine en lui[1]. » De plus avisés encore auraient peut-être pensé qu’il n’y a de durables que les résolutions spontanées, et que le faible prince n’avait peut-être jamais montré moins d’indépendance véritable qu’au moment où il prenait des grands airs de commandement.

Sa fermeté fut cependant tout de suite mise à deux épreuves critiques où elle ne fléchit pas. Il écarta d’une main très résolue tous ceux qui semblaient se présenter et qu’on avait autrefois désignés pour recueillir la succession de Fleury. La peine ne fut pas grande avec Tencin, qui se rangeait de lui-même avec une prudence à laquelle les spectateurs, qui s’en amusèrent, ne rendirent pas complètement justice. Mais Chauvelin, à qui une longue absence n’avait pas permis la même étude du terrain, fit la faute d’envoyer sur-le-champ au roi lui-même un mémoire confidentiel, qui n’était qu’une explication détaillée de toutes les fautes qu’il avait épargnées au cardinal, pendant leur administration commune, et une critique de toutes celles qui avaient été commises depuis leur séparation. Le roi se montra très irrité d’un blâme rétrospectif, dont il crut par dignité devoir prendre sa part, et n’eut rien de plus pressé que de montrer le mémoire à Maurepas, en lui demandant ce qu’on pouvait ajouter au châtiment d’un exilé. Après s’être fait un peu prier, Maurepas insinua que le choix de la résidence pouvait beaucoup aggraver ou atténuer les peines de l’exil, et à la place de Bourges où la vie était encore supportable, il proposa de reléguer l’insolent proscrit dans la petite ville d’Issoire, en Auvergne, se rappelant, dit-on, que c’était le lieu même où le cardinal de Richelieu avait envoyé en disgrâce le garde des sceaux Chateauneuf. L’idée comme le souvenir plurent au roi, qui fit expédier un ordre en conséquence le jour même et annonça sa décision en plein souper, paraissant jouir de la surprise et du désappointement qui se peignirent sur plus d’un visage[2].

Mais où on l’attendait surtout, où on était, pour parler comme Chambrier, « aux écoutes, » c’était à l’accueil qu’il allait faire au maréchal de Belle-Isle, quand le héros, désormais privé de son auréole, et presque transformé en aventurier, se décida à reparaître à la cour. On savait que de tout le conseil, le roi était le seul qui (peut-être par l’influence de Mmes de Toulouse et de Mailly) n’eût pas

  1. Journal de d’Argenson, t. IV, p. 49 et 50. — Journal de Barbier, t. II, p« 348, 350. — Revue rétrospective, Chronique de Louis XV, t. V, p. 229. — Chambrier à Frédéric, 1er février 1743. (Ministère des affaires étrangères.)
  2. Journal de d’Argenson, t. IV, p. 32, 58 et 59. — Journal de Barbier, t. II, p. 351. — « Mémoires du duc de Luynes, t. IV, p. 407, 408.