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roi, mais pour le moment envoyé en Espagne en qualité d’ambassadeur, et ce fut la duchesse de Brancas qui (elle le raconte elle-même) se chargea d’en avertir le prélat[1].

La place, ainsi cernée de toutes parts, n’était pourtant pas encore emportée. Le roi, disait Richelieu (inépuisable en aphorismes en des matières où il était docteur), « sera toujours le même en affaires comme en amour, et en amour comme en affaires. » En effet, en ce genre, comme en tout autre, l’esprit d’entreprise manquait au roi. Il resta plus d’un mois sans oser rompre avec Mme de Mailly et sans presque parler à Mme de La Tournelle. Il est vrai que, détrompée bientôt par sa froideur et son embarras, Mme de Mailly, avec la maladresse qui paraît propre aux amantes délaissées, éclata en scènes de jalousie. Ce n’est pas ainsi (les faiseurs de romans nous l’ont assez dit) qu’on peut réveiller un sentiment éteint ; mais c’était assez pour qu’un reste de compassion, la crainte d’un bruit scandaleux, une répugnance égoïste à affliger ses regards par le spectacle du désespoir, vinssent arrêter sur les lèvres du roi un congé formel qui lui coûtait à prononcer comme un arrêt de mort. De son côté, Mme de La Tournelle, par une réserve inattendue, semblait fuir plutôt qu’appeler ses regards. Elle se dérobait à la foule des hommages que les courtisans éclairés (dit une chronique du temps) s’empressaient à lui rendre. Les gens habiles ne voulaient voir dans cette réserve qu’un jeu de coquetterie ; mais d’autres prétendaient (et le cœur humain a de tels replis qu’on peut tout croire) qu’elle restait attachée par un tendre sentiment au jeune comte d’Agénois, qui avait emporté à l’armée ses sermens de fidélité, et qu’au moment de manquer à la foi jurée elle flottait, partagée entre l’amour et l’ambition. Il suffisait sans doute, pour faire justice de ses hésitations un peu tardives, d’une insistance passionnée, qui, de la part d’un roi, n’aurait été qu’une manière de déguiser un ordre. Mais cet ordre n’arrivait pas, et le roi paraissait s’ennuyer d’avoir à prendre la peine de le donner.

Heureusement, il avait dans Richelieu un serviteur prêt à tous les offices et, pour parler encore avec Saint-Simon (car quelles expressions ce merveilleux écrivain ne trouve-t-il pas pour peindre les incidens et les caractères de cour), un ami fait à rompre les glaces sur tous les sujets. Ce fut lui qui se chargea de faire toutes les ouvertures qui coûtaient au roi. Il parla raison, presque sentiment, à Mme de Mailly et lui fit entendre qu’on ne regagne pas par la violence un amour qui s’échappe. Un sacrifice volontaire, lui dit-il, la complaisance pour une fantaisie qui pouvait être passagère, un

  1. Mémoires du duc de Luynes, t. IV, p. 226, 266, 267. — Mémoires de la duchesse de Brancas, p. 207.