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plus tard quand il a eu fait des élections. Lorsqu’il y a trois mois, M. Posada Herrera et ses alliés de la gauche succédaient à M. Sagasta avec un programme de libéralisme plus accentué, ils n’avaient pas non plus la majorité ; ils espéraient l’avoir. L’avènement des conservateurs aujourd’hui n’est pas plus irrégulier que celui de leurs prédécesseurs. La vérité est que, s’il y a un peu d’imprévu, il y a bien aussi une certaine logique dans toutes ces récentes péripéties espagnoles, que si M. Canovas del Castillo et ses amis sont en ce moment ramenés au pouvoir, c’est que les libéraux leur ont préparé le succès ou cette revanche par leurs fautes, par leurs divisions, en finissant par créer des conditions où l’on ne pouvait plus rester. Le roi Alphonse, après s’être spontanément prêté aux expériences de ces dernières années, s’est sans doute aperçu qu’on ne pouvait aller plus loin sans péril, que le moment était ; venu de s’arrêter, et s’il y avait un homme désigné pour reprendre la direction des affaires dans ces momens difficiles, c’est bien celui qui s’est montré jusqu’ici un des plus habiles politiques de la restauration, qui reste un des esprits les plus éminens de l’Espagne contemporaine. M. Canovas del Castillo a un mérite toujours rare pour un homme public, qui peut être tour à tour un chef de ministère ou un chef d’opposition : il a su maintenir, conduire son parti en lui inspirant une confiance complète, et, récemment encore, il montrait autant de tact que de décision en présence des divisions, des luttes intestines des libéraux. Par le discours qu’il a prononcé, il a su se ménager cette position qui lui a permis de recueillir avec autorité la succession du dernier cabinet. Quels sont maintenant ses projets ? quelle sera sa politique ? Vraisemblablement la dissolution des cortès, qui était devenue impossible pour M. Posada Herrera, est désormais le premier article du programme du nouveau gouvernement. La suspension provisoire des chambres, qui vient d’être prononcée, n’est que le prélude des élections qui se feront d’ici à quelques mois, qui sont une nécessité dans une situation nouvelle, et on peut bien présumer que le cabinet conservateur d’aujourd’hui, comme tous les ministères qui l’ont précédé, fera ce qu’il pourra pour avoir à son tour sa majorité.

C’est la première condition de vie pour un ministère. Ce qu’il est bien permis de croire, dans tous les cas, c’est que M. Canovas del Castillo ne revient pas au pouvoir pour inaugurer une ère de réaction intérieure et pour pratiquer une politique extérieure qui entraînerait l’Espagne dans des alliances ou dans des aventures en dehors de ses traditions comme de ses intérêts. M. Canovas est assurément un conservateur ; ce n’est point un politique de réaction, et les événemens qui se sont passés depuis quelques années suffiraient à l’éclairer sur le danger des systèmes à outrance, sur la nécessité de mettre une, certaine flexibilité dans le jeu des institutions. Il le comprend sans