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Mme de Rémusat avait un mari comme il y en a peu. Ce n’était pas son seul bonheur ; le fils de grande espérance qu’elle avait eu à dix-sept ans faisait son orgueil, ses délices. On s’entendait à merveille, on s’adorait. Il avait l’esprit si ouvert, si prompt, si délié ! Sa mère lui apprenait la vie et le monde, elle n’avait pas besoin d’en dire bien long, il comprenait à demi-mot et devinait le reste. Sainte-Beuve a comparé cette heureuse enfance à une promenade, dans laquelle un très jeune frère rejoint à pas inégaux une sœur aînée, qui lui fait signe et qui l’attend. — « Il n’y a pas entre votre âge et le mien, lui écrivait-elle, un assez long espace pour que je ne comprenne pas votre jeunesse. Les têtes de femmes demeurent toujours jeunes, et dans celle des mères, il y a toujours un côté qui se trouve avoir justement l’âge de leur enfant. » En écrivant à son mari, elle se tenait et se contenait ; à son fils seul elle osait tout dire, les bagatelles qui l’occupaient, ses folies, ses doutes, ses imaginations, les aventures de son esprit. Il lui arrivait même quelquefois de le trouver trop sage, trop réservé, un peu prude. Elle lui demandait brusquement ce qu’il faisait de ses dix-huit ans. Elle se sentait revivre en lui, il était sa seconde jeunesse ; elle entendait qu’il eût son roman et quelque chose à lui conter : — « On assure qu’il vous prend des accès de mélancolie et même de découragement, parce que vous ne savez pas comment arriver avec de certaines dames où vous voudriez… La tante qui fait des vers me paraît tout juste comme la Marceline qui fait aussi palpiter votre cœur. Vous allez me dire peut-être, pour continuer la citation : Mais c’est une femme ! et moi, malgré ma dignité maternelle, est-ce que je rirai comme Suzanne ? » Mais il n’admettait pas qu’on fît de lui un Chérubin, il prétendait qu’il n’avait pas la peau assez blanche pour cela. Toujours ferme à la parade, il ne se laissait point approcher ; il ne se confessait qu’en vers, la poésie ne craint pas le vague :


Nos romances de troubadour
Sont souvent des effets sans cause,
Et si je vous parle d’amour,
C’est pour parler de quelque chose,
Car j’ai le malheur, entre nous,
De n’en pouvoir parler qu’à vous.


C’est ainsi que ce fils discret tenait à distance une mère trop questionneuse. Dans son dépit, elle lui reprochait d’être un peu sec ; mais son grief n’était pas sérieux. Quand elle recevait ses lettres, il lui suffisait d’en voir l’adresse pour s’attendrir : « Je suis un peu sur votre sujet comme cet homme qui, en lisant l’affiche de la Comédie-Française et en voyant l’annonce d’Andromaque, se mettait à pleurer et disait : « Oh ! que cela sera touchant ! »