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si nous ne verrons pas fabriquer un jour de toutes pièces l’alcool, l’amidon et même le sucre ? Il aurait paru tout aussi paradoxal, il y a vingt ans, d’annoncer la fabrication de la garance artificielle, et nous ne sommes pas au bout des surprises que nous réserve la chimie du carbone. Mais, ce carbone, où le prendrons-nous ? On l’a vu depuis le début de ce travail : ce qu’il faut à l’industrie, ce qui est nécessaire pour que toutes ces synthèses merveilleuses soient possibles, c’est d’avoir pour matière première le carbone végétal, le carbone organique, c’est-à-dire le carbone combiné à l’hydrogène. Ce sont ces carbures trouvés dans le goudron, ces corps binaires où les proportions de carbone et d’hydrogène varient d’après une progression régulière, qui, livrés au chimiste, combinés par lui à l’oxygène et à l’azote, lui servent de point de départ pour préparer des alcools, des aldéhydes, des éthers, des ammoniaques composées ; alcools, aldéhydes, éthers, ammoniaques, gardant chacun le type particulier du carbure d’où ils dérivent. On a vu les séries de corps issues du carbure benzine, puis, grâce aux mêmes procédés, du carbure naphtaline. En somme, ce n’est pas le carbone que la houille nous fournit, c’est le carbure. Cette première synthèse restera pour l’industrie la plus difficile de toutes. Les autres, opérées partout par la vie, sans dépense et sans effort, sous la lumière et à la chaleur tempérée du soleil, ont pu être contrefaites ; les énergies, les affinités de corps organiques ont été réveillées par la chaleur des fourneaux. Mais la première, la synthèse du carbone et de l’hydrogène, opérée une fois par M. Berthelot quand il fabriqua l’acétylène, est restée une curiosité de laboratoire. Qui donc ira chercher le carbone dans l’atmosphère, où les cheminées de nos usines et les poumons de tous les animaux le rejettent sans cesse, combiné cette fois avec l’oxygène à l’état de gaz acide carbonique ? Qui donc de ce gaz minéral fera sans effort, sans bruit, sans fourneaux enflammés, sans chaudières prêtes à éclater, une substance organique ? Ce sera la vie, la vie, qui fait monter la sève 4es arbres, qui reverdit dans les feuilles, qui gonfle la pulpe sucrée des betteraves, qui emplit de jus la pellicule des grains de raisin. La vie ne crée pas seulement l’amidon, le sucre, les huiles : elle crée aussi les carbures desquels ces corps dérivent. Et quand nous parlons de nos synthèses opérées au moyen des corps tirés de la houille, ces corps, ne l’oublions pas, sont des débris de corps vivans. Le soleil du midi ne verra plus fleurir les champs de garance, mais la garance est tirée des gigantesques magasins naturels où les plantes et les fleurs de l’ancien monde se sont entassées et desséchées depuis des siècles.

Comment les savans ont-ils été conduits à cette découverte ? L’histoire de leurs recherches est fort instructive. La garance est