Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/662

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

condensée. Cette eau descend le long des flancs des montagnes, suit la pente douce des champs et va se mêler aux eaux des mers. Elle a coulé sur des terrains calcaires ; elle contenait déjà de l’acide carbonique ; elle arrive à l’océan chargée de bicarbonate de chaux. Alors se présente un étrange phénomène : si l’air est abondamment fourni de gaz carbonique, le sel calcaire reste dissous dans l’eau. Si l’air manque de ce gaz, le sel de chaux va se dissocier : la moitié de l’acide carbonique qu’il contenait s’exhale de la surface de la mer. Et le carbonate de chaux, qui n’est pas soluble, se précipite au fond des eaux, où il va se déposer en longs sédimens.

Il y a donc entre la terre et son enveloppe gazeuse des échanges de carbone qui se font soit par l’entremise des vivans, soit en dehors de la vie. Et ces échanges continueraient si la vie disparaissait du globe. Ils s’effectueraient même si la vie n’était jamais apparue ; mais alors entre l’instant où il est emprunté à l’atmosphère, et l’instant où il lui est rendu, le carbone ne fournirait pas ces séries infiniment variées de combinaisons avec l’hydrogène ; séries d’où dérivent les alcools, les graisses, les sucres, et enfin ces matières colorantes que nous pouvons maintenant, à notre choix, tirer toutes formées des végétaux, ou reconstituer au moyen de leurs élémens retrouvés dans la houille. Il y a une respiration organique et une respiration inorganique ; il y a en ce monde une certaine quantité de carbone qui présentement est organique et une autre qui fait partie du monde minéral ; et bien que des échanges continuels s’effectuent, rien ne prouve que le carbone actuellement minéral ait jamais été vivant.

A vrai dire, en admettant, a priori, cette dernière hypothèse, on eût été conduit à d’étranges conséquences. Il faudrait que l’apparition de la vie sur cette terre et l’apparition du carbone eussent eu lieu au même moment. Et comme nous voyons d’immenses quantités de carbone minéralisé, il faudrait que le règne vivant, la somme totale de matière animée existant à la surface du globe, eût été portée, dès son origine, à son maximum. On devrait imaginer un créateur, faisant surgir tout à coup, sur toute l’étendue du monde minéral et inanimé, une innombrable forêt. La vie aurait progressé en perfection : en quantité elle aurait perdu. Au début, tout le carbone aurait été vivant, mais de la vie la moins parfaite. Le monde aurait été couvert des végétaux les plus rudimentaires, de masses énormes de moisissures et de champignons ; et les eaux épaissies auraient été encombrées de protozoaires. Dès le premier souffle d’acide carbonique lancé dans les airs ; dès la première haleine expirée par ces amas animés, une multitude de ces êtres seraient devenus la proie des autres ; le nombre des vivans, le poids total de la matière animée aurait diminué. Et la réserve du carbone