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vaincre n’était pas pressé de combattre. Personne d’ailleurs autour de lui n’en était plus impatient. Cet éloignement pour le combat, provenant non de la crainte, mais du découragement, est un fait assez rare, mais qui n’est pourtant pas sans exemple chez le soldat français, comme nous avons pu le constater, même après nos derniers malheurs. La persistance de la mauvaise fortune enlève aux meilleurs de nos compatriotes, non pas le courage, mais l’audace. Quand la confiance dans leur étoile, souvent exagérée, qui leur est habituelle, a été plusieurs fois trompée par l’événement, l’impression contraire s’empare de leurs imaginations mobiles, et, dans les périls qu’ils ne craignent jamais de braver, ils n’aperçoivent plus que les mauvaises chances. Toute tentative un peu hardie leur paraît d’avance désespérée. C’était l’état d’esprit des plus brillans chevaliers français qui composaient l’état-major de Maillebois, aussi bien que ceux de Broglie et de Belle-Isle. Le comte de Saxe, seul peut-être, paraissait échapper à cette contagion d’abattement et de défaillance. Il était, comme toujours, plein de feu et prêt, disait-il, à faire rafle de tous les pandours ; mais il convenait que ses soldats étaient loin d’être en pareille humeur et croyaient voir, derrière chacun des sapins des montagnes, un pandour embusqué pour tirer sur eux. « D’ailleurs, ajoutait-il, non peut-être sans quelque secrète impatience, la subordination allemande m’apprend à ne faire que ce que l’on me prescrit. » Et comme ce qu’on lui prescrivit fut de ne rien tenter qui pût empêcher un accommodement et rendre une bataille nécessaire, il s’amusait, avec sa brusquerie accoutumée, à exagérer ses instructions. Ayant à recevoir, quelques jours après son arrivée, un parlementaire de Königseck qui venait traiter d’un échange de prisonniers : « Pourquoi sommes-nous ici, lui-dit-il, vous et moi ? Pas plus Autrichiens que Français n’ont rien à y faire. Si vous vouliez seulement fermer un œil, le maréchal de Broglie sortirait d’Allemagne sans être vu, et tout serait fini[1]. »

Averti par cette boutade et par des lettres interceptées qui leur tombaient entre les mains que leurs dispositions conciliantes étaient partagées par leurs adversaires, les généraux autrichiens insistèrent plus que jamais auprès du grand-duc pour qu’on essayât au moins une tentative d’accommodement. Le prince, au fond plus de cet avis qu’il ne voulait le paraître, mais craignant de s’attirer quelque orage dans son intérieur conjugal s’il paraissait aller lui-même au-devant de la faiblesse, réunit un conseil de guerre, et là,

  1. Le comte de Saxe à Breteuil, 18, 23 août 1742. (Correspondances diverses. Ministère de la guerre.) — Robinson à Carteret, 3 octobre 1742. (Correspondance de Vienne. Record Office.)