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et le fini et aussi leurs rapports. Elle est une triplicité qui se résout en unité et une unité qui se développe en triplicité. Quelle est cette théorie ? « Pas autre chose que le fond même du christianisme. Le Dieu des chrétiens est triple et un tout ensemble, et les accusations qu’on élèverait contre la doctrine que j’enseigne doivent remonter jusqu’à la trinité chrétienne. »

Sans insister sur ce dernier rapprochement, remarquons un important changement de doctrine par rapport aux cours de 1818-1820. En effet, Schelling, dans sa première philosophie, que l’on a appelée tantôt é philosophie de la nature, » tantôt « système de l’identité, » ne voyait dans l’absolu que l’identité du sujet et de l’objet, le point indivisible où les deux termes s’unissent et se confondent. Il n’y avait donc rien à en dire ; et, pour déterminer cet absolu, il fallait considérer soit la nature, soit l’esprit ; l’absolu ne se manifestait que dans ses formes, on ne l’atteignait en lui-même que par une sorte d’intuition intellectuelle, voisine de l’extase alexandrine. Aussi voyons-nous dans Schelling une philosophie de la nature et une philosophie de l’esprit ; mais de l’absolu pris en soi il ne disait rien. C’est cette doctrine que Victor Cousin avait adoptée et exposée en 1818 et en 1820. Pour Hegel, au contraire, avant la philosophie de la nature, avant la philosophie de l’esprit, il y avait une science première qui concernait la pensée en soi : cette science est la logique. La pensée en soi n’est pas vide ; elle est riche de déterminations, et ce sont les déterminations idéales des choses. Sans doute ces déterminations sont bien abstraites : ce sont la quantité, la qualité, la mesure, la différence, etc. ; mais enfin ce sont les conditions éternelles de la pensée. Hegel n’admettait donc pas l’unité pure des alexandrins et de Schelling ; c’était pour lui la plus pauvre des idées ; il n’admettait qu’une pensée en mouvement. Il est vrai que Hegel n’a jamais dit, comme le fait Cousin en 1828, que l’absolu fût une intelligence et que cette intelligence eût conscience d’elle-même. Mais n’est-ce pas une question de mots ? Qu’est-ce, en définitive, que ce qu’il appelle la « notion » dont les trois termes sont le concept, le jugement et le syllogisme, si ce n’est pas l’intelligence en soi dans son essence pure ? Qu’est-ce que la notion absolue qu’il appelle idée, et dont le dernier terme est « l’idée de l’idée, » si ce n’est la conscience pure ? Qu’est-ce tout cela, si ce n’est le monde des idées de Platon, quelque chose d’analogue au Λόγος platonicien ?

En attribuant à la raison absolue les trois momens qui constituent toute raison, en essayant de déterminer la nature de la vie divine, tandis qu’en 1818, il avait affirmé qu’on ne peut dire de Dieu qu’une chose, c’est « qu’il est, » en substituant au principe de l’indifférence absolue celui de la pensée vivante, de la pensée en