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surpris et mécontenté les amateurs de scandale. Puis tout a passé, comme tout passe à Paris.

« Cependant vous concevez que mes vrais amis, Humann et Royer-Collard, ont approuvé ma conduite, et, avec eux, le très petit nombre d’hommes d’état de l’opposition ; excepté les intrigans et les brouillons et quelques faux amis qui cherchaient depuis quelque temps des prétextes d’ingratitude et de trahison, le public, qui ne s’arrête pas aux bavardages, a compris l’ensemble de ma conduite. Toute cette affaire a prouvé deux choses : que j’étais invariablement attaché à la cause de la liberté, mais que m’entraîner dans aucune folie n’était pas au pouvoir de personne. Ceux qui, par leurs dénonciations, m’ont suscité cette persécution et ceux qui espéraient exploiter mes ressentimens sont découragés par la fermeté et la modération de mon attitude, et, en général, ma situation est à peu près celle que vous pourriez me désirer dans mon pays. »


Cette petite persécution à l’étranger, valut à Cousin une sorte de réparation à l’intérieur. On lui promit de remettre son nom sur l’affiche de la faculté[1] ; on lui rendit son titre et son traitement de l’École normale. Le gouvernement fît dans le Moniteur une déclaration décisive à son égard, et essaya ainsi de se disculper de toute complicité dans l’aventure de Berlin. Hegel, assez paresseux à écrire, on le comprend, dans une langue qui ne lui était pas familière, ne répondit pas à cette lettre. Cousin, la même année (décembre 1825), lui en adresse une autre par l’intermédiaire de Gans, qui venait de passer à Paris. Cette lettre est triste et fait allusion à des chagrins dont nous ne connaissons pas la cause. « Comment allez-vous ? écrit-il. Comment va la bonne Mme Hegel ? et vos enfans ? Votre âme est en paix, Hegel ; la mienne est souffrante. Je passe ma vie à regretter ma prison. Mais je n’oublie pas que je ne suis pas avec vous, seul, la nuit, assis sur votre canapé, et ce n’est pas à trois cents lieues de distance que nous pouvons causer intimement. — Le chagrin s’acharne sur moi, mais il n’a pas affaire à un lâche. Je supporte tout et je travaille… Vous connaissez ma vie comme si je vivais près de vous. Adieu. Aimez-moi toujours, et ne craignez pas que jamais je vous oublie. Je ne passe pas un jour sans penser à vous ; espérons que nous nous verrons encore. Adieu, mon ami, je vous embrasse de toutes les forces de mes bras et de mon cœur. »

En réponse à ces deux premières lettres si intimes et si affectueuses et aussi aux envois de livres (Proclus et Descartes) qu’il

  1. Nous ne savons si cette promesse a été tenue. Le fait est qu’il n’est pas remonté dans sa chaire avant 1828.