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cordial et le plus remarquable des amis de Hegel à Paris, celui qui essaya de lui rendre son séjour le plus agréable possible, et Hegel, dans ses Lettres à sa femme, s’exprime sur lui dans les termes les plus affectueux et les plus reconnaissans. Ces rapports durèrent autant que la vie de Hegel et ne cessèrent pas même après la révolution de juillet, quand Cousin fut devenu pair de France et promu au ministère[1]. »

Ce récit est exact, sauf le dernier trait. En effet, de 1824 à 1832, malgré la différence d’âge (Hegel avait vingt-trois ans de plus que Cousin), malgré l’éloignement, il s’établit entre les deux philosophes un commerce de véritable affection. Cousin eut toujours pour celui qu’il appelait son maître une déférence et une vénération particulières ; et, par l’entrain de sa nature, quand ils étaient ensemble, il animait et égayait l’austère philosophe. On en voit la preuve dans les Lettres de voyage écrites par Hegel à sa femme[2], et où il parle souvent de Cousin. Ces détails, à la vérité, n’ont rien de philosophique, mais ils sont intéressans parce qu’ils témoignent de l’intimité des deux amis. On nous permettra d’en donner quelques extraits :


« 3 septembre 1827.

« Enfin, ma chère amie, je t’écris de cette capitale du monde civilisé, dans le cabinet de l’ami Cousin ; celui-ci, pour le dire tout d’abord, m’a remis ta chère lettre, et j’ai reçu enfin des nouvelles de toi et des enfans dont la lettre m’a fait grand plaisir. Arrivé ici vers onze heures. Descendu à l’Hôtel des Princes. Aussitôt visite de Cousin. Inutile de dire que nous sommes ensemble dans les termes de la plus affectueuse cordialité. Nous n’avons pas été longs à déjeuner (côtelettes et une bouteille de vin) ; car, dit-il, il a à veiller aux intérêts de Mme Hegel (en français), et il faut que cette lettre parte aujourd’hui pour la poste avant deux heures. »


« 9 septembre.

« Tout mon temps se passe à courir et à voir des choses merveilleuses, à bavarder et à manger avec Cousin, dont l’amitié dévouée prend soin de moi de toutes les manières ; si je tousse par hasard, le voilà aussitôt inquiet des responsabilités qu’il a

  1. Cousin ne fut pas ministre après 1830 ; il ne le fut qu’en 1840, et Hegel était alors mort depuis huit années (1832).
  2. Hegel’s Werke, t. XVII, p. 600. Ces lettres sont très amusantes et nous reproduisent les impressions de Hegel, sur Paris. Nous n’avons dû en extraire que ce qui avait rapport à notre sujet.