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sera venu, il faut leur abandonner en toute propriété un petit coin du parc, dont elles feront leur jardin, leur jardin à elles et à nul autre ; elles le cultiveront et l’arroseront ; elles y planteront des allumettes, y sèmeront des épingles, elles fouiront la terre de leurs mains, s’extasieront devant la poussée d’un brin d’herbe, se battront pour la possession d’une touffe de chicorée sauvage et ne s’en porteront que mieux. Si elles se salissent, le lavabo n’est pas loin, on en sera quitte pour les débarbouiller.

Cette œuvre vient à peine de naître, mais ce n’est plus un embryon ; elle existe, elle fonctionne, elle a son personnel : religieuses, aumônier, médecin, enfans recueillis ; le dortoir est vaste, la salle de classe est immense ; dans les buffets, la vaisselle est au complet, et la lingerie ne manque pas de draps. Il n’est pas jusqu’aux jouets qui ne soient en nombre ; le petit Jésus, toujours compatissant, en a déposé beaucoup dans les souliers pendant la dernière nuit de Noël. On tente là un essai dont il sera intéressant de surveiller les résultats. Le problème posé est fort simple : Prenant un enfant vicié dans les principes mêmes de l’existence par la source le plus souvent impure dont il provient, peut-on, à l’aide d’une hygiène habile, d’un régime imposé, d’un mode de vivre régulier dans un milieu choisi, peut-on détruire en lui les causes morbides qui le menacent d’une fin précoce ? En un mot, peut-on modifier son tempérament ? Je crois que l’expérience commencée à Villepinte répondra affirmativement.

Malgré l’alimentation qui est substantielle, malgré la pharmacie où foisonnent les médicamens, je crois que le meilleur agent de guérison pour les jeunes poitrinaires, comme pour les petites anémiques, est encore le parc. Il est très beau et il est très grand. Onze hectares d’un seul lopin, c’est quelque chose à la porte de Paris. Cela permet d’avoir un potager plantureux, qui fournit des légumes, pendant toute l’année, aux maisons de la rue de Maubeuge et de Villepinte. Une pensionnaire, les yeux brillans et la lèvre humide, me disait : « Ah ! si vous connaissiez nos petits pois ! » — Les pelouses sont immenses, coupées par des allées ombragées de vieux arbres. Au printemps, à l’heure du renouveau, ce doit être admirable. Çà et là, des bouquets d’épicéas forment des groupes sombres sur la pâleur de l’herbe fanée par le mois de décembre. On multiplie tant que l’on peut la plantation des arbres verts, et l’on agit sagement. Les poitrinaires qui ont vécu sous la Forêt-Noire et dans les bois d’Arcachon connaissent l’effet précieux de la résine sur les bronches. Ce n’est pas tout cependant de se promener à l’ombre des pins sylvestres, des pins maritimes et de les « respirer ; » l’arbre vert peut donner ses branches pour