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en aide. On ne sait pas ce que contient de chagrin un berceau vide, et par quels prodiges de charité on essaie d’apaiser une douleur qui ne s’apaise jamais, qui reste lancinante dans la solitude et dans le monde, au milieu des soins de la maison, et à travers les frivolités dont on cherche à s’étourdir. L’enfant qui s’en est allé vagit toujours dans le cœur de la mère ; elle seule l’entend et les bruits les plus joyeux ne l’empêchent pas de l’écouter. « Selon la doctrine indienne, dit Chateaubriand dans ses Mémoires d’outre-tombe, la mort en nous touchant ne nous détruit pas ; elle nous rend seulement invisibles. » Cela est vrai, surtout pour les enfans. Le petit corps a disparu, il a rendu à la matière ce qu’il lui avait emprunté, sa poudre est retournée à la poudre ; mais l’âme, où est-elle ? Elle habite la mère, elle s’est identifiée à elle, elle l’attendrit, la conseille et l’émeut. L’enfant qui a souffert pense à ceux qui souffrent et il dit à la mère : Va secourir ceux qui sont petits comme j’étais entre tes bras, ceux qui languissent comme j’ai langui sous tes baisers, ceux qui peut-être, faute de soins, vont quitter leur mère, comme je t’ai quittée, malgré ta vigilance et tes efforts. La mère croit que c’est le souvenir de son petit enfant qui la pousse aux bonnes œuvres en faveur de l’enfance privée de sève ; elle se trompe ; c’est l’enfant lui-même qui survit, qui agit en elle, qui est son maître, qui la dirige et lui prête sa force pour accomplir des actions charitables auxquelles, seule, elle aurait pu ne pas songer. Paris fourmille de femmes dont la futilité apparente est rachetée par des œuvres où les malheureux rencontrent des soulagemens inespérés et qui justifient la parole de Luther aux frères moraves : « Là où se trouvent la foi et la charité, il ne peut y avoir de péché ni pour ce que l’on adore, ni pour ce que l’on n’adore pas. »

Auprès de la ferme, en bordure de la cour, à côté du parc, sous quelques arbres, s’élève une haute construction qui est une ancienne grange, devenue aujourd’hui un asile dont la destination ne peut être modifiée. On dirait une pépinière d’où sortiront peut-être les plantes maladives qui achèveront de s’étioler dans les chambres du château rouge. Au-dessus de la porte d’entrée on lit, en grosses lettres noires : Fondation Hochon-Lefuel. C’est presque une création individuelle.

Une dame sociétaire de l’asile de Villepinte, qui portait en elle le deuil d’une enfant qu’elle avait perdue, se dit qu’il était bien de soigner les jeunes filles poitrinaires, mais qu’il serait peut-être mieux de les empêcher de le devenir. Elle savait, sans avoir fait de longues études de physiologie, que les fillettes malingres, prédisposées à la chlorose, sont une proie presque certaine pour la