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invoquent ; c’est le moyen de plaire au Dieu que vous servez. » Si Dieu est mal logé à Villepinte, les religieuses sont encore plus mal logées que lui. Les malades les ont chassées de la maison ; à force de reculer pour faire place aux poitrinaires, elles sont arrivées jusque sous les toits, dans des chambrettes en brisis, traversées par des poutres contre lesquelles on se heurte le front, où le papier humide se détache des murs, où le sol n’est même pas carrelé, mais composé d’un mélange de plâtre et de pisé. C’est inhumain et c’est imprudent, car il faut de la vigueur pour résister aux fatigues de la fonction, et l’on compromet sa santé en dormant dans ces galetas que visitent les courans d’air et que le froid pénètre. En revanche, la pharmacie est irréprochable, rien n’y manque, pas même les bocaux rouges et bleus qui servent d’enseigne aux pharmaciens, et à l’aide desquels, le soir, ils aveuglent les passans. Là le travail ne chôme pas ; la mère pharmacienne et la sœur qui l’assiste sont à l’œuvre tout le jour ; elles excellent à dissimuler les amers, afin de les faire accepter aux malades que leur mal rend capricieuses et qui, chaque matin, détournent volontiers la tête quand il s’agit d’avaler l’huile de foie de morue réglementaire.

La vie des religieuses de Marie-Auxiliatrice n’est point une sinécure. Levées à cinq heures, couchées tard, lorsque nulle dans la maison ne peut plus réclamer leur secours, elles sont sur pied toute la journée pour les soins à prodiguer, pour la surveillance à exercer, pour l’impulsion à donner aux divers services qui font mouvoir l’œuvre. Ont-elles le temps de prier, je ne sais. Mais quelle prière vaut l’acte de dévoûment ? quelle litanie peut remplacer la dépense de soi-même au profit d’autrui ? Le jour, elles ont mille occupations qui ne leur laissent pas un instant de repos ; la nuit, elles ne sont jamais certaines de n’être pas appelées par quelque veilleuse qui les réclame auprès d’une malade. Elles m’ont paru actives, empressées et chaudes de cœur. Où se recrute cette communauté qui n’a rien de platonique et dont l’existence est un labeur perpétuel ? Un peu partout, comme les autres ordres religieux. J’ai causé avec une tourière qui m’a paru être une paysanne, et il est possible que j’aie côtoyé, rue de Maubeuge ou à Villepinte, l’arrière-petite-fille d’un des maréchaux de France dont la gloire de Louis XIV a profité. Elles sont très douces, très maternelles avec leurs malades et déploient souvent une ingéniosité rare pour leur éviter quelque fatigue ou les maintenir dans l’exercice du traitement prescrit. Il faut reconnaître, du reste, que la plupart des malades sont des fillettes déjà atteintes de sagesse. Il est extrêmement rare que les affections chroniques des poumons ou du larynx se produisent avant l’âge de seize ou dix-sept ans. La phtisie proprement dite, comme