Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/606

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

transitoires qui peuvent, qui doivent être soignés dans nos hôpitaux, sous peine de mourir sur le grabat de leur mansarde. Lorsque l’on a étudié ou fréquenté les hôpitaux, on sait que les malades se pressent à la porte, qu’on en est réduit, malgré bien du bon vouloir, à faire une sélection parmi les plus dangereusement atteints, et qu’un lit est à peine refroidi que déjà il est occupé. Le mal n’attend pas, il est de toutes les minutes ; on a beau multiplier les ressources du « traitement à domicile, » nos hôpitaux sont encombrés ; en temps de santé normale, ils sont insuffisans ; qu’est-ce donc lorsqu’une épidémie, — choléra ou variole, — s’abat sur la ville ? Je l’ai dit et je le répéterai sans cesse : malgré sa fortune personnelle, malgré les subventions du département, l’Assistance publique est pauvre ; l’indigence, la maladie, la vieillesse, l’incurabilité la débordent, et elle doit accomplir un effort prodigieux pour parer aux exigences immédiates qui, chaque jour, se reproduisent avec une désespérante régularité. Il lui faudrait à la campagne, au plein air, quelque vaste domaine, analogue à l’asile de Vaucluse, où elle pourrait réunir son lamentable peuple de poitrinaires et le garder, loin des causes morbides, jusqu’à la dernière heure. Elle ne l’a pas encore, elle ne l’aura peut-être jamais. La foi qu’elle laisse expulser de ses maisons a compris qu’il y avait là une lacune à combler ; elle s’est adressée à la charité privée, qui lui a répondu.

Les sœurs de Marie-Auxiliatrice, en présence de la femme au « vieux troupier » et de la jeune poitrinaire enlevée de sa soupente, ont conçu l’œuvre ; elles l’ont aperçue avec tous ses développemens et elles ont compris que la première condition pour qu’elle fût vraiment secourable était de l’établir hors de Paris, loin du centre infecté d’où s’échappent à flots les poisons de la phtisie, de la subordonner à des principes d’hygiène qui primeraient toute autre considération et de ne se préoccuper que de la maladie des malades sans leur demander ni acte de baptême ni profession de foi. Par un hasard singulier, la fille qu’elles avaient retirée de la boutique de sa mère était issue d’une famille juive et d’une famille protestante. C’était démontrer que la question de secte paraissait secondaire, et que la souffrance seule était un titre à des soins dont on était résolu d’être prodigue ; on se déclarait ainsi prêt, s’il le fallait, à renverser la parabole du bon Samaritain. La charité, comme l’ambition, a ses châteaux en Espagne, les rêveurs se plaisent à les bâtir, mais les âmes ferventes ne s’en peuvent contenter. Ce n’est donc pas tout de concevoir de bons projets, il faut les mettre à exécution : comment faire sans argent ? La communauté était pauvre ; elle subsistait, c’est tout ce que l’on en peut dire. Comme les Petites-Sœurs des Pauvres, comme les frères de Saint-Jean de Dieu, on se