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que lorsque des malades se trouvaient à l’infirmerie du chômage, on sollicitait des offrandes en argent et en nature pour parer aux nécessités, parfois coûteuses, de la médication. Plusieurs femmes atteintes de pleurésie ou d’affections pulmonaires étaient en hospitalité pendant les premiers mois de 1880. Deux sœurs quêteuses, parties en course, entrèrent dans une petite boutique où l’on vendait des étoffes de laine, et elles prièrent la marchande de leur donner quelques coupons, quelques morceaux de flanelle dont elles pourraient faire des camisoles pour leurs poitrinaires. La marchande les écouta et se mit à pleurer : « Vous soignez les poitrinaires ! Ah ! si vous voyiez dans quel état est ma fille ! » Et, se levant, elle conduisit les sœurs dans une soupente sans lumière, sans fenêtre, où, sur un lit de sangle, une fillette de dix-sept ans était couchée. Les pommettes roses, l’œil brillant, la pauvrette mettait sa main maigre sur sa poitrine, toussait avec effort, essayait de sourire et avait les yeux pleins de larmes. Une des sœurs dit : « Il faudrait la transporter dans une chambre meilleure. » La mère répondit : « Où voulez-vous que je la mette ? je lui ai donné ma chambre et je couche dans la boutique. » Le mot d’hôpital fut prononcé à voix basse ; la mère répliqua : « Elle n’est pas encore assez malade, ça durera trop longtemps ; on l’a refusée. Ah ! vous devriez bien la prendre chez vous ; au moins, elle sera dans un endroit où elle pourra respirer. » Rentrées à la maison de la rue de Maubeuge, les sœurs quêteuses racontèrent à la mère supérieure le spectacle qu’elles avaient eu sous les yeux. Bien vite on alla chercher la petite malade et on l’installa dans une pièce éclairée de fenêtres par où pénétraient les rayons de soleil. C’était contraire aux règlemens, mais la charité ne s’en soucia guère ; elle y trouvait son compte.

Il y a donc à Paris des jeunes filles qui, faute de soins, faute des précautions hygiéniques les plus élémentaires, souffrent, s’affaiblissent et meurent ! On en a vu une, mais combien en existe-t-il que peut-être on parviendrait à sauver ? Cette pensée poignit les religieuses de Marie-Auxiliatrice et s’empara d’elles jusqu’à l’obsession. On prit des renseignemens et l’on acquit la certitude que les hôpitaux repoussent les phtisiques pendant la première et la seconde période de leur maladie ; on ne les accepte que pendant la troisième, — la dernière, — lorsque la science affirme que tout espoir doit être abandonné ; en un mot, on leur prête un lit pour mourir. Que l’on n’accuse pas l’Assistance publique de cruauté ; elle obéit à une nécessité implacable. La durée de la phtisie varie entre un mois et quarante ans ; c’est à Paris une affection très fréquente ; il est impossible, dans l’état actuel de notre système hospitalier, d’immobiliser un nombre considérable de lits au détriment de ces malades