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pourraient se réfugier, se reposer, et dormir pendant la nuit. Il savait bien que l’heure est propice à faire succomber, lorsqu’après une journée de courses inutiles et décevantes, la femme voit descendre les ténèbres et n’a pas d’asile. Plus d’une alors, par lassitude et troublée des angoisses de la peur, a suivi le premier venu ou a demandé une hospitalité qu’elle a payée si cher qu’elle ne s’en est jamais consolée. Assurer à ces malheureuses une chambre et une couchette pour une redevance insignifiante qui ne dépasserait pas un sou par jour ; les garder pendant un laps de temps suffisant à se pourvoir, c’est-à-dire pendant trois mois ; les soigner en cas de maladie, les aider par des conseils et au besoin par des démarches, les sauver de la misère aux aguets et du vice aux écoutes, parut à l’abbé de Soubiran un acte salutaire. Afin d’atteindre le but qu’il avait visé, il organisa la communauté des sœurs de Marie-Auxiliatrice. Les deux premières religieuses qui acceptèrent la règle et se consacrèrent à l’œuvre nouvelle furent ses nièces. Ceci date de 1854.

Castelnaudary ne fut et ne pouvait être qu’un berceau ; l’œuvre y naquit, s’y condensa dans la conception du bien à faire plus que dans l’action du bien même, et reconnut qu’elle était dans un milieu trop stérile. Malgré le canal du Midi qui la côtoie, malgré le grand bassin dont elle est fière, Castelnaudary est une petite ville de 10,000 habitans ; la charité devait promptement y devenir impuissante, car il lui était facile de secourir le nombre restreint de malheureux qui s’adressaient à elle. On le comprit avant même que l’expérience l’eût démontré, et, semblable aux tribus de pasteurs qui abandonnent un terrain épuisé pour aller chercher de gras pâturages, on émigra. On n’alla pas bien loin et l’on s’arrêta à Toulouse. La première étape était bien choisie : grande ville où s’agitent 120,000 âmes, ville de fabriques et vieille ville parlementaire, qui attire les filles des pays d’alentour par l’espoir du gain de l’ouvrière et du gage de la servante. L’action que l’on exerçait était surtout une action morale ; elle n’avait pas encore, elle ne devait avoir que longtemps plus tard cette puissance secourable qui la rend si précieuse aujourd’hui. L’œuvre vivait, mais ne se dilatait pas ; or il est de l’essence même de la charité de chercher les voies nouvelles. Son imprévoyance, sans laquelle elle n’existerait pas, ne lui laisse pas de repos. — Où vas-tu ? — Secourir les misères. — Avec quelles ressources ? — Avec l’aide de Dieu.

En 1870, l’abbé de Soubiran avait quitté notre bas monde, où il avait été un exemple ; la communauté des sœurs de Marie-Auxiliatrice perdit en lui un directeur paternel dont les conseils avaient toujours été écoutés. Son âge, sa prudence, son expérience de la vie étaient plutôt pour modérer que pour exciter l’ardeur