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et, la modération d’Auguste. » Sa première dépêche fut courte : on en eût difficilement rédigé de plus concluante ; en la lisant, Mme de Sévigné aurait cru reconnaître le style de Turenne : « Nous avons, se contenta d’écrire Claude, détruit 320,000 Goths, coulé à fond 2,000 navires. Les fleuves sont couverts de boucliers, partout sur le rivage on rencontre des épées et des lances, les champs disparaissent sous les ossemens dont ils sont jonchés ; pas un chemin qui ne soit encombré par l’immense bagage que l’ennemi abandonne ; nous avons pris tant de femmes que chaque soldat en a eu pour sa part deux ou trois. »

Exterminés par Claude II, les Goths léguèrent en mourant la peste aux Romains. Claude a quitta le séjour des mortels pour celui des dieux, où l’appelaient ses vertus ; » son frère Quintilius régna dix-sept jours. Les légions du Danube avaient conféré la puissance impériale à Aurélien ; Quintilius ne se sentit pas de taille à engager la lutte, il prévint le sort qui l’attendait en s’ouvrant les veines ; Aurélien était fils d’un paysan d’Illyrie : les habitans de la Dalmatie, — nommez-les à votre gré Illyriens ou Serbes, — ont montré de tout temps un très vif penchant et une rare aptitude pour la guerre. « Le divin Aurélien » prenait le pouvoir dans des temps difficiles, le sceptre par bonheur tombait en bonnes mains. Claude le Gothique buvait peu, en revanche il mangeait beaucoup ; Aurélien possédait à la fois le goût du vin et celui de la bonne chère ; il ne montrait de dédain et d’indifférence que pour les plaisirs de l’amour ; ses repas se composaient surtout de viandes rôties ; son vin de prédilection était le vin rouge. Certains empereurs aimèrent les histrions, Aurélien préférait d’autres divertissemens. Voir un de ses parasites dévorer dans un seul repas tout un sanglier, cent pains, un mouton et un cochon de lait, puis avaler d’un trait la contenance d’un tonneau, le reposait des soins qu’il accordait à l’expédition des affaires. Ce vaillant rejeton d’un rustre de Sirmium reçut assurément en partage une nature énergique, on ne dira jamais que ce fût une nature délicate ; Les troupes l’avaient surnommé Main de fer. Malheur au soldat qui dérobait un poulet ou qui détournait une brebis ! Toucher à une grappe de raisin, exiger indûment de l’habitant chez lequel on logeait, de l’huile, du bois ou du sel, était aux yeux d’Aurélien un crime irrémissible ; violenter la femme de son hôte lui semblait, à bon droit d’ailleurs, un forfait pour l’expiation duquel les supplices habituels ne suffisaient pas : il en fallait inventer de nouveaux. Aurélien se montrait sur ce point aussi ingénieux que féroce.

L’histoire des empereurs est remplie de semblables détails, et c’est toujours ainsi que la victoire s’annonce. « Il rétablit la discipline, » voilà le début ; « la discipline restaurée, il marche sans crainte à l’ennemi et le met en fuite, » voilà le dénoûment infaillible. « Nous