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beaucoup de parages, s’accoster presque à terre. Si quelque scrupule retient encore ici nos ingénieurs et nos officiers, nous ferons pour l’artillerie et pour la cavalerie ce que nous avons fait pour l’infanterie : nous nous résignerons au transbordement. Seulement le problème, dès ce moment, se complique. Tout projet de descente qui emprunte le concours des navires de haut bord suppose la possession incontestée de la mer ; la flottille pourrait, à la rigueur, se passer de la protection des escadres ; Avant de prendre parti, essayons d’abord la force de résistance de ces engins maniables dont nous suspectons peut-être à tort les facultés.

Depuis bientôt dix ans je le répète : tant qu’on n’aura pas créé une école de débarquement, on ne saura pas ce qu’on peut demander à une flottille. Si cette école avait son siège en Algérie, les études que je recommande trouveraient à la fois plus de secret, de loisir et de recueillement. Dans notre grande colonie militaire, les troupes sont toujours sur le pied de campagne ; plus disponibles qu’en France, elles montreraient peut-être moins de répugnance pour les nouveautés. On serait agréablement surpris, j’en suis convaincu y de voir peu à peu, et dans le court espace de quelques années, ce qui semble aujourd’hui une chimère prendre corps, se développer, et réclamer sa place dans la plupart des plans de mobilisation. Une école de débarquement n’exige pas un personnel bien nombreux : une simple compagnie d’infanterie, un peloton de cavaliers, deux canons attelés feraient au besoin l’affaire. L’important serait de perfectionner par des essais intelligens et sans cesse renouvelés le matériel destiné à des opérations que nous avons compliquées à plaisir. J’ai pris ma part du débarquement d’Oldfort, j’ai dirigé celui de Kertch, et celui de Kinbourn : je déclare formellement que de longues études ne seront pas nécessaires pour faire mieux. En tout état de cause, je ne crains pas d’assumer ici le rôle de prophète : si nous hésitons trop longtemps à entrer dans la voie nouvelle que j’indique, la lumière nous viendra du Nord.


V

Les Goths n’ont pas été les seuls à tenter de longues traversées dans de petites barques : une colonie de Francs, transplantée vers la fin du IIIe siècle sur les bords du Pont-Euxin, voulut, en l’année 282 de notre ère, profiter du désarroi dans lequel l’esprit séditieux de l’armée jetait alors l’empire ; elle s’empara tout à coup de quelques vaisseaux marchands. Partis de l’embouchure du Phase, ces hardis révoltés ne trouvèrent pas d’obstacle sur leur route : ils franchirent le Bosphore, traversèrent la Propontide, descendirent