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Ce que les Anglais auraient pu faire, les Allemands, prétendent certains stratégistes, seraient, grâce à leur voisinage des états du tsar, en bien meilleure situation pour le tenter. Une descente opérée sur la rive méridionale du golfe de Finlande aurait-elle quelques chances de réussir ? Elle jetterait en tout cas l’alarme dans le camp ennemi et constituerait une diversion de la plus haute importance. Les risques à courir, dans une opération de ce genre, ne sauraient cependant être méconnus : à la guerre, il faut bien s’y résoudre, on n’obtient d’avantages qu’à la condition d’affronter quelques risques. Les Russes, sans s’exagérer le danger auquel les exposerait l’esprit ingénieux et entreprenant d’un adversaire exalté par de récentes victoires, ont voulu néanmoins étudier pratiquement la question, et, si je puis m’exprimer ainsi, en avoir le cœur net. Le 27 juillet 1883, en présence de l’empereur et des principaux membres de la famille impériale, le simulacre d’un débarquement de vive force a été exécuté sur la côte d’Esthonie. Deux corps d’armée, une escadre de quinze cuirassés, et toute une flottille de canonnières ont pris part à cet exercice : un des corps d’armée devait accomplir la descente, l’autre était chargé de la repousser. De part et d’autre, les manœuvres paraissent avoir approché, autant que possible, de la réalité ; aucun détail n’a été omis : ni les reconnaissances préliminaires, ni l’appui que l’artillerie des vaisseaux doit prêter en pareille occurrence aux troupes qui débarquent. Les bataillons placés à terre se sont tenus masqués jusqu’au dernier moment ; ils n’ont révélé leur présence que lorsque le débarquement était déjà prononcé. Retraite convenue à l’avance, retour offensif, rien n’a manqué à un programme qu’on tenait à dresser si complet, que le combat simulé faillit un instant dégénérer en bataille sanglante.

Quelle a été, quand tout fut terminé, l’impression générale des juges compétens ? Le correspondant du journal le Soleil était sur les lieux : pour lui, si je l’ai bien compris, les assaillans auraient été fondés à s’attribuer la victoire. Je me plais surtout à enregistrer cette observation : « Les Cosaques, ivres d’enthousiasme, lançaient à l’eau leurs montures, et, à peine parvenus au rivage, exécutaient des fantasias échevelées. » Avis à nos cavaliers ! Qu’ils nous aident un peu et ne se montrent pas trop exigeans quand, avec les moyens bien imparfaits dont nous disposons aujourd’hui, nous essayons si laborieusement de les mettre à terre.

Le général duc de Rovigo a raconté, dans ses intéressans Mémoires, comment il s’y prit pour débarquer sur la plage d’Alexandrie les chevaux de l’expédition d’Egypte. Il en fit d’abord transporter quelques-uns dans des chaloupes et ordonna qu’on les rangeât sur le rivage, la tête tournée du côté de la mer ; pour les autres,