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préfets envoyés de Rome dans ces contrées lointaines est grande et ennemie de toute répression. »

Ce fut, — ne craignons pas de le répéter, — dans ce royaume du Bosphore et sur cette côte du Caucase que les Goths trouvèrent les vaisseaux, ou plutôt les embarcations dont ils avaient besoin pour transporter leurs armées au sein des provinces romaines de l’Asie. La limite de ces provinces avait été portée, depuis l’époque où Arrien côtoyait le littoral du Pont-Euxin, de Dioscurias à Pityus, la ville pourvue d’un bon port et défendue par une forte muraille. » Procope compte deux jours de navigation entre Pityus et Dioscurias ; Muller reconnaît l’emplacement de Pityus dans la localité moderne de Pitsiounta, située à 30 milles environ de Soukoum-Raleh, débouché maritime dont le nom se retrouvera souvent dans l’histoire des luttes que les Russes n’ont cessé de soutenir contre les armées du sultan. Les Romains avaient confié la garde de la frontière asiatique à un officier d’une valeur éprouvée, Successianus. Malgré la faiblesse de la garnison de Pityus, Successianus parvint à repousser les attaques des Goths. Faire un siège sans machines n’était guère plus facile à cette époque que d’enlever aujourd’hui la plus chétive place sans canons. Tout l’effort des hommes de guerre qui s’occuperont un jour de rendre les descentes par mer efficaces devra, je l’affirme hardiment, porter sur ce point : créer une artillerie maniable, légère, et susceptible d’être embarquée sur de très petits vaisseaux. Il faudra découvrir la torpille terrestre pour en faire l’auxiliaire de cette torpille maritime qui menace déjà nos énormes vaisseaux cuirassés de déchéance. Je ne saurais trop insister sur ce sujet, car, dans ma pensée, les descentes doivent être avant tout des surprises, et elles ne pourront jamais être tentées avec quelque chance de succès que par des flottilles.

Malheureusement pour les Romains, Successianus ne tarda pas à être appelé à un poste jugé plus important : les Goths reparurent à l’instant sous les murs de Pityus, enlevèrent d’assaut cette place forte et, pour qu’elle ne gênât plus à l’avenir leurs progrès, la rasèrent, puis de Pityus, en suivant le rivage de la Colchide, passèrent à Trapézonte. Cette ville était une ancienne colonie grecque. En lui donnant un port, l’empereur Adrien lui avait donné la richesse : Trapézonte prit soudain un grand développement et s’entoura d’une double enceinte ; les marchands y affluèrent en foule. A la première annonce de la mise en marche des barbares, Valérien s’était empressé de renforcer la garnison de Trapézonte. Ce ne furent probablement pas des soldats d’élite qui entrèrent dans la place, car la négligence de ces dix mille hommes, — le renfort, on le voit, était sérieux, — allait préparer un succès funeste et facile aux assiégeans. Envoyer au-devant de l’ennemi ses bonnes troupes