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que déchoir. Il ne fut pas plus heureux en Orient que son fils Gallien sur les bords du Rhin, et, pour la première fois, les barbares déployèrent leurs étendards presque à la vue de Rome.

Ces barbares n’étaient pas des Goths ; c’étaient des Suèves, nation plus puissante encore, dont les nombreuses tribus s’étendaient des bords de l’Oder jusqu’à ceux du Danube. L’empire se trouvait sapé de trois côtés à la fois ; les Perses, traversant l’Euphrate, saccageaient Antioche, Tarse et Césarée ; les Suèves envahissaient la Gaule et la Lombardie ; les Goths campaient sur les bords du Danube. Les constantes incursions des Goths avaient heureusement aguerri les habitans de ces provinces romaines que Rome ne savait plus défendre. Les barbares de l’Est, arrêtés par une résistance inattendue, cherchèrent une route nouvelle pour envahir l’empire ; la mer devint leur chemin. L’ère des flottilles commence : les flottilles des Goths vont précéder de deux cents ans au moins les flottilles normandes. Les Goths, si je ne me trompe, auront réalisé les premiers la pensée que je poursuis avec obstination : trouvant la voie barrée du côté de la terre, ils s’embarquent en masse, et font ainsi rentrer, trois siècles environ après la bataille d’Actium, la marine, investie d’une nouvelle puissance, « dans le jeu des armées. » Il est donc impossible que je ne m’occupe pas d’eux.


IV

Que de fois, quand la défaite ouvrait notre territoire aux masses profondes du Nord, n’avons-nous pas entendu ce cri désolé : « Nous sombrons, et la marine ne fait rien ! » Nos meilleurs amis eux-mêmes s’étonnaient de notre inaction et semblaient craindre de se trouver à court d’argumens pour l’excuser : « Pendant qu’à Paris, écrivait M. Louis Reybaud, enfermé à cette époque dans la capitale investie[1], les marins détachés tiennent un si bon rang, que devient la flotte ?… Une telle force rester inactive, tant de canons muets, tant d’équipages assistant, les bras croisés, aux luttes désespérées de la patrie, c’est ce qu’on ne peut ni concevoir, ni admettre. Beaucoup s’en affligent, quelques-uns s’en indignent, aucun ne demeure indifférent… Il ne faudrait pourtant pas, dans ces heures d’amertume, se laisser aller à des accusations injustes… Voici, par exemple, une note qu’écrivait de Toulon, le 1er juin 1870, c’est-à-dire en pleine paix, deux mois avant les événemens, un officier général de la marine : « Nos escadres cuirassées, coulées dans le même moule invariable, devront céder le pas à des navires d’un moindre tirant d’eau,

  1. Voyez, dans la Revue du 1er janvier 1871, l’étude de M. Louis Reybaud : la Marine au siège de Paris et à la mer.