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Valérien et de son successeur, de se répandre du fond du Pont-Euxin jusqu’aux extrémités de la mer Egée. Quels services, en dehors d’un service de police, avait-elle rendus jusque-là ? Quels faits d’armes signalèrent, pendant près de trois siècles, son existence ? A quelles expéditions les Césars, les Flaviens et les Antonins, sans compter les usurpateurs, la convièrent-ils à prendre part ? Un résumé rapide du règne des vingt-six empereurs qui succédèrent à Claude et qui précédèrent Valérien nous permettra d’apprécier le rôle dévolu aux flottes impériales durant cette période.


II

L’histoire grecque se déroule avec la rapidité de l’éclair ; l’histoire romaine entasse siècles sur siècles et sa durée même en exclut l’unité. Depuis Auguste, — on pourrait presque dire depuis Marius et Sylla, — Rome n’est plus dans Rome ; elle est tout entière dans les camps. Montesquieu a comparé l’empire romain à une espèce de république irrégulière, telle à peu près que l’aristocratie d’Alger : « Peut-être, ajoute-t-il, est-ce une règle assez générale que le gouvernement militaire est, à certains égards, plutôt républicain que monarchique. » Ce qui me frappe, même chez les Antonins, quand je les contemple au Musée du Louvre, avec leur tête carrée, leur front bas, leur corps gigantesque et massif, c’est la prédominance de la matière sur l’esprit, prédominance qui s’accuse d’une façon si visible dans les moindres détails d’une structure faite pour décourager le ciseau de Phidias. Tous ces colosses semblent écraser le monde sous leur large pied brutal. Quelle distance entre ces Hercules et les Apollons que divinisa le génie des Grecs ! Mais si les héritiers de César pèsent lourdement sur la terre fatiguée d’un pareil fardeau, il faut avouer aussi que le vieil Atlas eût pu s’en fier à eux du soin de le remplacer. Les empereurs romains ont, pendant trois cents ans, porté le poids du ciel sur le fer de leurs piques : l’univers chancelant reprenait toujours, grâce à cet appui, son équilibre. Les deux ou trois siècles qui nous sont généralement représentés sous des couleurs si sombres ont été, — la chose est incontestable, — de toutes les périodes historiques, celle où le double fléau de la guerre et de l’anarchie a le plus légèrement effleuré le front des peuples.

Le tempérament légal du Romain facilitait d’ailleurs singulièrement la tâche des empereurs. Nous vivons encore aujourd’hui des lois que Rome nous a léguées, et, bien que ce peuple dur et implacable ne soit pas fait pour inspirer à qui s’est épris d’un idéal plus