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Il faudrait cependant mettre quelque conséquence dans les idées qu’on veut réaliser, surtout quand il s’agit des institutions les plus essentielles du pays. Si le sénat ne doit plus être qu’un pouvoir énervé et diminué directement ou indirectement, le mieux est de le laisser périr, de le livrer aux réformateurs à outrance qui ne déguisent pas, quant à eux, une pensée ennemie sous des euphémismes. Si le sénat est dans le jeu des institutions un pouvoir utile, nécessaire comme nous le pensons, comme le dit M. le président du conseil lui-même, la première condition est de ne pas l’ébranler par des révisions de fantaisie, de le respecter, de le fortifier dans sa composition, de lui laisser assez de prérogatives et d’autorité pour faire le bien, pour empêcher souvent aussi beaucoup de mal. — Mais alors, dira-t-on, comment dénouer les conflits financiers qui se renouvellent sans cesse entre les deux chambres ? Il n’est sûrement pas impossible de trouver un moyen équitable, efficace, de transaction dans des différends qui n’ont rien d’insoluble, et dans, tous les cas, il est par trop expéditif de trancher sommairement la question en laissant le dernier mot à celle des deux assemblées qui a le plus besoin d’être contenue et modérée. Ce qu’il y a de plus clair, c’est que M. le président du conseil s’est jeté dans une singulière aventure sans trop savoir où il allait, ce qu’il voulait faire. Il a cru pouvoir, tout à la fois, livrer aux révisionnistes un peu de sénat, un peu de constitution, et rassurer les conservateurs en promettant de limiter la révision. Il n’a pas trop réussi, puisqu’il paraît chercher aujourd’hui à ajourner cette réforme constitutionnelle, à gagner du temps. On reparlera de tout cela vers l’été : fort bien ! Seulement ce n’était vraiment pas la peine de tant se hâter pour ajourner maintenant une question destinée à agiter le pays, de même que ce n’était pas la peine de prendre une si bruyante et si hasardeuse initiative avec des idées si peu claires et si peu sérieuses.

M. le président du conseil s’est trompé s’il a cru, par une apparence de hardiesse, imposer à ses adversaires et se donner plus d’autorité ou de popularité ; il n’a servi ni sa propre cause ni la cause du pays, qui ne lui demandait pas cette surprise pour l’année nouvelle. Il n’a provisoirement réussi qu’à mettre dans la vie intérieure de la France une confusion de plus, une complication factice de plus. Ce ne sont pas cependant les difficultés réelles qui manquent aujourd’hui ; elles sont partout. Elles sont au Tonkin, où le gouvernement a reçu toute liberté d’agir et où l’on ne voit rien marcher, ni les opérations militaires ni les négociations diplomatiques. Elles sont dans les affaires financières, qui restent, qui resteront longtemps encore sans doute sous le poids d’une série de méprises, de prodigalités imprévoyantes et de fausses mesures. Elles sont dans les affaires religieuses, où le ministère n’a l’air de montrer parfois quelques velléités de paix que pour racheter aussitôt ses bons mouvemens par des concessions